La Femme Celte
amant-prêtre, union qui est, assurément, le hiérogame
parfait dans toute sa splendeur :
« À l’éclair violent de ta face divine,
N’étant qu’homme mortel, ta céleste beauté
Me fit goûter la mort [476] ,
la mort et la ruine
Pour de nouveau venir à l’immortalité.
Ton feu divin brûla mon essence mortelle,
Ton céleste m’éprit et me ravit aux cieux ;
Ton âme était divine, et la mienne fut telle :
Déesse, tu me mis au rang des autres dieux [477] . »
Au fond, tout cela n’est que la réactualisation d’un thème
très archaïque que la tradition celtique a conservé à travers ses diverses
fluctuations et qui trouve son apogée poétique dans le texte de La Folie de Tristan , probablement la plus haute
expression de la féminité considérée dans sa dimension divine : il s’agit
du thème de la Chambre de Soleil dans laquelle
Tristan, pour la circonstance déguisé en fou (mais est-ce un travestissement
réel ou symbolique ?), prétend emmener la reine Yseult, et cela à la
grande joie du roi Mark qui ne comprend évidemment rien à ce qui se passe,
thème semble-t-il connu des Celtes, puisqu’on le découvre déjà dans des textes
irlandais bien antérieurs [478] . Il est nécessaire de
répéter la description de cette chambre (ou de ce palais). Elle est tout en
verre. « Le soleil y rayonne de toutes parts. Elle flotte dans le ciel,
suspendue parmi les nuages, et nul vent ne l’agite ni ne l’ébranle. Elle comporte
une chambre de cristal, toute pavée de marbre. Le soleil à l’aube, l’illuminera
tout entière [479] . » Et n’oublions
pas non plus que dans la magnifique histoire irlandaise d’Étaine, cette chambre
de cristal est un endroit de régénération , un
lieu où s’opèrent de subtiles métamorphoses qu’on pourrait classer comme
alchimiques [480] .
Il y a de multiples interprétations à donner de ce thème.
Sans aller au fond des choses, force nous est d’abord de constater que
« la salle est entièrement aérienne, qu’elle s’est donc détachée de la
lourdeur de la terre et de la Mère primitive et qu’elle flotte, immobile, au
royaume de l’esprit : quand Yseult y vivra, elle sera réellement cette
femme du soleil qu’elle était par essence, anima célestielle et Sophia caelestis . Ce n’est pas
pour rien d’ailleurs que cette salle est de verre, car elle est de ce fait illuminée
des rayons de la conscience de l’astre qui se lève (renvoyant de la sorte à la
divinité qui se révèle), en même temps que le couple qui y mènerait son amour
le ferait forcément à la vue éblouie de la création tout entière [481] . »
Le changement de plan est plus qu’évident, qu’on le définisse en termes psychologiques
ou en termes métaphysiques. Telle qu’elle est décrite, la « Chambre de
Soleil » s’identifie à l’athanor des alchimistes, le vase où, par suite
des délicates opérations du Magistère (dissolution, mort et coagulation,
passage de l’état brut à un état intermédiaire calciné, noir, avant de
retrouver le blanc et de parvenir au rouge), la Materia
Prima deviendra Pierre philosophale. Mais, de même que la Materia Prima est une appellation symbolique de la Magna Mater , de la « Déesse des Commencements »,
cette même entité divine, féminine et solaire, se confond avec l’athanor, lequel
devient alors la matrice divine d’où surgit toute vie. Mystiquement et
ésotériquement parlant, c’est le concept de la Vierge Marie, en tant que theotokos , qui prend le relais à l’intérieur de la
tradition chrétienne. La « Reine des Anges », la « Porte du
Ciel », n’est-elle pas l’image assagie et entièrement désexuée de la Magna Mater primitive, celle qui doit donner naissance au jeune dieu salvateur ,
c’est-à-dire à l’Homme Nouveau dans sa transcendance absolue, Christ ressuscité
des morts.
Ce qui caractérise la Chambre de Soleil, ou encore
l’athanor, c’est la lumière, et cette lumière est évidemment mise en opposition
avec les ténèbres du Chaos primordial, matière première des alchimistes,
conscience non encore maturée de Tristan avant sa rencontre (sa conjonction ) avec Yseult. Celle-ci est donc le
soleil naissant qui vient illuminer le monde indifférencié. C’est là le
résultat d’un postulat qui a toutes les chances d’être faux (les ténèbres ne
peuvent être conçues que par rapport à la lumière, comment donc expliquer que
la lumière
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