La Femme Celte
légitime – et le bien qu’elle possédait.
Car si, apparemment, l’homme est le chef de la famille, il
n’est pas toujours le chef du couple. Les lois irlandaises présentent trois cas
bien distincts dans la situation matrimoniale, et selon ses cas, le rôle de la
femme – ou de l’homme – peut changer du tout au tout. Lorsque l’épouse, la cetmunter , a la même fortune et la même naissance
que son mari, elle est sur le pied d’une complète égalité. Elle peut établir de
sa propre autorité tout contrat présumé avantageux. Le consentement du mari
n’est nécessaire qu’en cas de contrat jugé défavorable. Parallèlement, la femme
a le droit d’exiger l’annulation de tous les contrats désavantageux passés par
le mari et concernant sa propre fortune à lui.
Lorsque l’épouse est inférieure par le rang qu’elle occupe,
et surtout si sa fortune est moindre que celle de son mari, ses droits sont
forts réduits. Cela explique l’origine de la fameuse dispute de la reine Medbh
et du roi Ailill, au début du grand récit de la Tain
Bô Cualngé , dispute qui porte sur l’appréciation de leurs fortunes
réciproques et qui a pour conséquence une guerre inexpiable menée par Medbh
pour s’approprier un taureau qui vaudra plus que le taureau de son mari.
Par contre, lorsque la femme a une plus grande fortune que
son mari, c’est elle qui est le chef de famille, sans aucune contestation
possible. L’autorité du mari est à peu près nulle. Il est appelé fer fognama , c’est-à-dire « homme de service »,
ou encore fer for ban thincur , « homme
sous puissance de femme ». Dans de nombreux récits épiques, c’est la
situation du roi Ailill qui n’a absolument rien à dire contre les décisions de la
reine Medbh. Cet état de fait est évidemment une situation privilégiée pour la
femme mariée, non seulement maîtresse de son propre destin, mais aussi du
destin de l’homme. C’est sans aucun doute le souvenir d’un état social
antérieur où la femme jouait dans la vie familiale et politique un rôle plus
considérable, le souvenir de structures se rapportant à une certaine forme de
matriarcat, sans qu’on puisse englober dans ce mot passe-partout toutes les
particularités qui semblent s’en dégager.
Car il en était à peu près de même au Pays de Galles et en
Bretagne armoricaine. Le Cartulaire de Redon, qui date du IX e siècle, donne des exemples de femmes mariées
qui avaient des biens propres et qui pouvaient en disposer selon leur gré, les
aliéner sans le consentement du mari. De même les femmes bretonnes pouvaient
régner, si elles appartenaient à une lignée royale et si elles étaient élues [51] .
Elles pouvaient également associer leurs époux à la royauté. Elles avaient la
possibilité d’hériter si elles n’avaient pas de fils. On pensera aussi à la
très grande autorité morale qu’ont conservée les femmes bretonnes dans les
campagnes, où elles jouent bien souvent le rôle de chef de famille.
Le souvenir du matriarcat primitif (le mot étant pris, répétons-le,
sous toutes réserves) se manifeste encore dans la préférence accordée à la famille
de la femme en cas de succession lorsque le mari vient à disparaître, et
surtout dans une vieille habitude que nous retrouvons dans la littérature
irlandaise et galloise de nommer les héros d’après
leur mère et non pas d’après leur père : le roi Conchobar est ainsi
dit « fils de Ness » ; Gwyddyon et Arianrod sont fils et fille
de Dôn ; Setanta-Cûchulainn est fils de Dechtire. Il semble qu’il y ait
vraiment là, les traces d’une succession matrilinéaire qui n’était pas encore
sortie du souvenir des conteurs [52] .
D’ailleurs la femme, qu’elle fût mariée ou non, avait accès
à des fonctions très diverses. Si on n’a aucune preuve qu’elles eussent été
druidesses, elles pouvaient néanmoins être magiciennes et prophétesses. Le
Christianisme si particulier qui s’est instauré dans les îles Britanniques
admettait même les femmes à certaines formes du culte religieux. D’après des
témoignages dignes de foi [53] , elles participaient à
la célébration de la messe, pratique dénoncée par les évêques continentaux
d’obédience strictement romaine. Il existait des monastères doubles d’hommes et
de femmes comme celui fondé à Kildare par la célèbre sainte Brigitte sur
l’emplacement d’un temple païen où des femmes veillaient sur un
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