La Femme Celte
tronquée, raconte comment la Vierge de l’Air descend du ciel
sur la mer immense et écumeuse : « Alors le vent qui soufflait sur
elle, et la mer, apportèrent la vie en elle. » C’est ainsi qu’elle devient
Ilmatar, la Mère des Eaux, et qu’elle donne naissance, après sept siècles
pendant lesquels elle nage sur l’océan, au premier être terrestre, le barde
Väinämöinen. Cela fait penser à la naissance d’Aphrodite, issue de l’écume des
vagues, ou encore au nom de la fée Morgane (Muirgen) qui signifie
vraisemblablement « née de la mer ».
On sait que la science contemporaine a établi que toute vie
provient de la mer. Il s’est passé quelque chose, il y a très longtemps, des
millions d’années, au fond des grandes mers qui recouvraient la presque
totalité du globe terrestre : ce quelque chose, c’est la conjonction de
substances chimiques sous l’influence des rayons cosmiques, dans des conditions
qui sont évidemment très difficiles à déterminer. Mais nous retrouvons là les
mystérieux Élohim qui flottent, ou plutôt qui
volent au-dessus des eaux. Et les eaux deviennent mères. La vierge Ilmatar est
fécondée. Toutes les traditions sont d’accord pour affirmer le rôle des eaux
dans la genèse de la vie. Macrobe dit, dans les Saturnales (I, 20) : « le ciel forme la tête de Sérapis, et la mer son
ventre ». Sénèque, dans les Questions naturelles (III, 13), affirme que « la terre est soutenue par l’eau sur laquelle elle
flotte comme un navire ». Une légende japonaise (Dubois de Jancigny, l’Asie , p. 144) rapporte qu’un dieu désirant
quitter le ciel dit un jour à sa compagne : « Il doit y avoir quelque
part une terre où nous pourrons nous établir, cherchons-la sous les eaux qui bouillonnent au-dessous de
nous. »
Il est donc question d’un dieu – ou d’un esprit – qui
féconde la mer. La mer est donc considérée comme la Mère Primordiale, soit sous
son aspect aquatique, soit sous son aspect métaphorique de Vierge des Eaux, de
Sirène ou d’Être invisible résidant au fond des eaux. Mais à y bien réfléchir,
on est en droit de se demander si le rôle du dieu ou de l’esprit est bien
indispensable. Scientifiquement, le rôle des rayons cosmiques aurait été un
rôle de catalyseur. Le Kalevala dit que la
Mère des Eaux a été fécondée par le vent, ce qui est conforme aux anciennes
croyances de l’humanité, à l’époque où le mâle n’avait pas encore la certitude
de son propre rôle dans la fécondation, et où l’on s’imaginait, avec une
certaine terreur, que la parturition était un phénomène uniquement féminin,
sans autre intervention que celle, très vague, d’un esprit ou d’un dieu.
Toutes les sociétés, depuis le Néolithique, ont essayé de donner
à l’individu mâle un rôle de plus en plus déterminant. Les traditions, qui ont
conservé plus longuement le souvenir des époques antérieures, insistent encore
sur le rôle essentiel et presque unique de l’élément féminin. La croyance en la
mer, matrice universelle, a donc franchi les siècles et se perpétue encore de
nos jours dans des traditions encore vivantes. La mer, profonde et mystérieuse,
est devenue le symbole féminin par excellence, et plus la société de type
paternaliste a assuré son emprise, plus on s’est efforcé d’accentuer le côté
mystérieux et interdit de la mer.
C’est ainsi que la mer s’est peuplée d’êtres étranges,
qu’elle contient des villes, des palais, qu’elle abrite des trésors. Mais
d’innombrables tabous s’interposent entre elle et les hommes : on n’a pas
le droit d’y pénétrer, c’est dangereux. Seuls des êtres exceptionnels et divins
peuvent y habiter, seuls des héros sans faille sont autorisés, dans certaines
circonstances, à y parcourir l’univers merveilleux du paradis perdu.
Car c’est bien de paradis perdu qu’il s’agit. Tous les
anciens mythes de l’Éden, de l’Âge d’or, de l’État antérieur, convergent vers
la mer profonde, ainsi que vers ses substituts plus récents, la grotte et le
gouffre. La Psychanalyse a montré combien ces représentations de mers, de
grottes, de gouffres, de forêts obscures, sont attachées au concept archaïque
de la Femme, à la fois la mère et l’amante. L’imagination humaine a brodé
autour de ce thème avec tant d’intensité qu’il se retrouve partout sous les
aspects les plus divers, et cela prouve qu’il fait partie des
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