La Femme Celte
feu qui ne
devait point s’éteindre, ce qui n’est pas sans rappeler les Vestales romaines
ou le feu perpétuel entretenu à Bath (île de Bretagne) en l’honneur de la
déesse Sul [54] .
Il est probable que les femmes ne se limitaient pas à ces
fonctions quasi sacerdotales, et qu’elles avaient un rôle plus important à jouer
dans l’éducation, non seulement des enfants, mais aussi des jeunes gens. On
sait en effet qu’il existe une coutume assez singulière que l’on qualifie du
nom anglais de fosterage : il s’agit
d’envoyer les enfants en dehors de leur famille naturelle, chez un fosterer qui se charge de le nourrir et de l’élever,
à tel point que bien souvent, les liens entre le père nourricier et l’enfant
adoptif sont plus complets qu’entre le véritable père et l’enfant. D’ailleurs
non seulement se créaient des liens entre l’enfant et ses parents adoptifs,
mais également entre tous ceux qui étaient nourris ensemble. Il y a des
exemples innombrables dans la littérature irlandaise de ce genre de situation
où frères de lait et sœurs de lait sont astreints entre eux à des obligations
plus importantes que celles provoquées par la fraternité naturelle. Or ce fosterage , sur lequel nous reviendrons, et qui est
probablement d’origine nordique pré-celtique, ne suffisait pas à l’éducation du
jeune guerrier. Il devait, un beau jour, quitter ses parents nourriciers et
s’initier au métier des armes auprès de femmes guerrières extrêmement mystérieuses,
mi-sorcières, mi-amazones, établies généralement dans le nord de l’île de
Bretagne, c’est-à-dire dans le pays des Pictes. En Irlande, le récit de L’Éducation de Cûchulainn , et celui des Enfances de Finn sont les plus significatifs à cet
égard [55] ; au Pays de
Galles, le récit de Peredur , archétype de la Quête du Graal , fourmille de détails archaïques
concernant cette coutume [56] .
Cette tradition littéraire est en tous cas d’accord avec la
vision qu’ont eue les auteurs de l’Antiquité classique des robustes gauloises
toujours prêtes à aider leurs époux dans les guerres ou dans les disputes,
quand elles ne provoquaient pas elles-mêmes ces disputes. D’après Diodore de
Sicile (V, 32), « chez les Gaulois, les femmes sont presque de la même
taille que les hommes, avec lesquels elles rivalisent en courage ». Nous
trouvons la même observation, avec des détails savoureux, chez Ammien Marcellin
(XV, 12) : « l’humeur des Gaulois est querelleuse et arrogante à
l’excès. Le premier venu d’entre eux, dans une rixe, va tenir tête à plusieurs
étrangers à la fois, sans autre auxiliaire que son épouse, champion bien plus
redoutable encore. Il faut voir ces viragos, les veines du cou gonflées par la
rage, balancer leurs bras robustes d’une blancheur de neige, et jouer des pieds
et des poings, assénant des coups qui semblent partir de la détente d’une
catapulte ». À tout prendre, la description peut être flatteuse :
elle est indubitablement la preuve que les femmes celtes savaient se faire
respecter, et ce n’est pas la littérature tant gaélique que galloise qui pourra
le démentir. Dans le récit irlandais du Festin de
Bricriu , les femmes des trois champions d’Ulster qui se disputent le
« morceau du héros », c’est-à-dire la préséance, ne veulent pas être
en reste et sont prêtes à se crêper le chignon pour avoir la première place [57] .
Un autre aspect de ces femmes guerrières, éducatrices, militaires
et sorcières, est celui d’initiatrices sexuelles. Nous étudierons plus loin les
rapports qui existent entre le mythe de la Femme-Mère et celui de la
Femme-Amante, mais sur le plan strictement historique, il importait de le
signaler. Car cette curieuse institution guerrière se double ainsi d’une sorte
de prostitution plus ou moins sacrée. Et cela nous indique une fois de plus que
la liberté sexuelle chez les Celtes était fort grande : dans les lois
comme dans les textes littéraires qui ne sont pas marqués par le Christianisme
(et encore, celui-ci n’a pas fait disparaître cette façon de penser), il n’y a
guère de tabous sexuels, en tout cas aucune pudibonderie.
La fragilité du mariage en est une preuve absolue. La pratique
du concubinage également. D’ailleurs n’importe qui, marié ou non, pouvait
contracter un de ces fameux mariages annuels. La femme qui acceptait ce genre
de situation n’en était pas pour autant
Weitere Kostenlose Bücher