La fête écarlate

arse (324) dès son départ, sitôt après que ses malandrins en eurent achevé le pillage… L’abbaye d’à côté a subi le même sort…
    – Cet homme est l’Antéchrist, dit Philippe VI en jetant un regard sur les chevaliers assemblés autour de lui. Continue, mon gars…
    – Il a contourné Beauvais, mais les forbourgs de la cité ont brûlé.
    – L’Antéchrist (325)  ! hurla cette fois le roi.
    Alençon soupira et dit au coureur, un jouvenceau efflanqué, essoufflé, hagard :
    – Où se dirigent-ils ?
    – Milly (326) , puis Grandvilliers. Là, un grand hutin vient d’avoir lieu entre l’avant-garde des Goddons et des hommes du roi de Bohême…
    – Ah ! exulta Philippe VI, ils ont enfin goûté à notre acier. Il va falloir en avertir Jean l’Aveugle qui est quelque part devant… à moins qu’il ne nous suive.
    Ogier et Thierry se regardèrent : on ne savait plus où était Jean l’Aveugle. L’ost de France continuait à s’éparpiller. Blainville, près du roi, devait se délecter.
    – Ils ont aussi (327) Dargies, Troissereux, Oudeuil, Sommereux… et Poix…
    – Pardon, interrompit Ogier, tu viens de nous parler d’une échauffourée. Qui a obtenu l’avantage ? Les Goddons ou les Bohêgnons ?
    – Les Goddons, messire.
    Il y eut des murmures parmi les chefs de guerre. En trois mots, le coureur avait effacé leurs sourires. Certains considérèrent Ogier mauvaisement.
    – Est-ce tout ce que tu sais, l’ami ? demanda Alençon.
    Le coureur porta sa main à ses lèvres sèches, craquelées. Gauric lui offrit sa gourde. Sa soif assouvie, le garçon poursuivit :
    – À Poix, un chevalier flamand, Oulphart de Ghistelles, a mené l’assaut contre le châtelet dont le seigneur s’était enfui, laissant ses filles. On dit qu’elles ont été violées, mais d’autres disent qu’Édouard les a prises sous sa protection et qu’il leur a fait grand honneur…
    Soudain, se détournant, le roi fronça les sourcils :
    – Pourquoi vous ébaudissez-vous, Fenouillet ?
    – Oh ! sire, je pensais qu’Édouard avait dû les honorer comme il honora, naguère, la comtesse de Salisbury.
    Il y eut des rires dont celui du roi, bien dur et bien gai. Le coureur les fit cesser aussitôt en disant que les manants de Poix avaient voulu protéger leur cité autrement qu’avec des armes. Édouard les avait laissés en paix contre un lourd sac d’écus d’or. Cependant, l’arrière-garde de son ost, composée d’archers gallois, avait mis les maisons à sac…
    –… et l’avant-garde de votre ost également, sire Philippe…
    – Eh bien, quoi ? s’écria Alençon. Pourquoi hésites-tu ? Continue !
    –… je continue, monseigneur, pour dire que ce sont les hommes de France, piétaille et chevaliers, qui ont meurtri sans merci et mise arse la ville…
    – Si nos gens ont appris que les manants voulaient négocier, ils ont eu raison !
    – Il faut occire tous les traîtres ! Tous ! Tous !
    Philippe VI hurlait. Comme son adversaire, il vivait dans un rêve sanglant ; il semblait s’y vautrer à plaisir.
    « La fête écarlate », songea Ogier, écœuré, tandis que le coureur poursuivait :
    – C’est presque tout ce que je sais… Le roi d’Angleterre doit parvenir à Airaines et son fils à Camp-en-Amiénois… Ils ont perdu un de leurs capitaines : Thomas Talbot. Et ce dont je suis sûr, c’est qu’ils vont chercher à passer nos rivières et surtout le fleuve Somme afin de rejoindre les Flamands.
    – Ils ne les rejoindront jamais ! affirma Philippe VI. Ils ne franchiront ni nos rivières ni la Somme ! Dieu est de mon côté ! (Il se signa.) Il ne peut soutenir l’Antéchrist ! Monseigneur saint Denis est avec nous !… Ce n’est pas pour rien qu’en quittant Antony je suis repassé par Saint-Denis où j’ai prié ! Non, ce n’est pas pour rien !… En selle, messires !
    Et paternel :
    – Dis-moi, mon gars, quelle cité nous trouverons à dix lieues d’où nous sommes afin d’y manger un morceau avant d’atteindre Amiens…
    – Droit devant, sire, vous trouverez Copegueule (328) . Amiens en est à trois lieues…
    – Allons, messires, en selle !… Allons à Copegueule…
     
    *
     
    Un soleil brûlant, des cités en cendres ; le roi Philippe lui-même présentait à ses familiers un visage de feu : il avait commis l’erreur d’ôter son bassinet sur le chemin de Copegueule. Après une mauvaise chevauchée, il allait et