La fête écarlate
venait dans la grand-salle d’une maison de drapier dont Blainville avait délogé les habitants :
– Nous voilà à la vesprée. Nous allons rester à… à Coupegueule, dit-il en caressant son grand nez. Nous dormirons demain à Amiens… Ah ! Fenouillet. Vous êtes bien hardi. Vous m’avez par deux fois fourni la preuve de votre vaillance en vous rendant auprès de ce démon… Je vous donnerai quelque autre mission bientôt…
– Je m’en acquitterai, sire…
Blainville manquait à ce conseil improvisé autour d’une table où subsistaient les reliefs d’un bon dîner, mais le roi semblait n’avoir aucun souci de cette absence.
« Ils ont débarqué le 12 juillet », se dit Ogier. « Nous voilà presque au terme de ce dimanche 20 août, et rien… Rien que des mots ! »
Alençon, renfrogné, s’était laissé choir sur un banc. S’il regardait parfois ses compagnons, il consacrait surtout son attention à ses longues jambes garnies de fer. Des varices le tourmentaient.
– Où en sommes-nous, Louis ?… Où en sommes-nous, Lorraine ?
Louis de Blois déploya un rouleau de parchemin, le posa sur un coin de table dégagé tandis que Lorraine, pour le maintenir à plat, posait un hanap à chacun de ses coins. Ogier vit des croix, des points et de longs filets noirs figurant des chemins ou des rivières.
– Voilà, sire… Voilà, monseigneur… Tout d’abord, il vous faut savoir que les Goddons sont affamés. Les granges sont détruites, les étables vides… Édouard s’est reposé deux jours à Braynes…
– Airaines, rectifia Lorraine sûr de soi. Et je prétends qu’il y est encore (329) .
– Disons Airaines et poursuivez, dit Philippe agacé.
Ce poursuivez dans la bouche de ce souverain occupé à ne faire que cela fit sourire Blainville qui entrait, adoubé, l’épée tintant contre sa genouillère.
« Qu’a-t-il bien pu faire ? » se demanda Ogier. « Pourquoi semble-t-il prêt à combattre ? »
Près de lui, Blois « poursuivait » :
– Édouard doit être à… Airaines. Ses guerriers ont contourné Longpré-les-Corps-Saints… ici (le gros index à l’ongle noir écrasa une croix), puis s’en sont allés à Pont-Rémy… Warwick les commandait. Il dû reculer devant nos arbalétriers et les hommes de Jean l’Aveugle qui gardaient le pont sur la Somme… Adonques, ce pont est resté aux nôtres… bien endommagé…
– Ah ! s’écria Philippe, ils ont reculé.
Lorraine dut anéantir cette joie qu’aucun autre membre du conseil n’osait partager avec le souverain :
– Ils ont reculé pour chercher un autre pont, sire, toujours en amont d’Abbeville. Ils ont mis en ruine Fontaine-sur-Somme, Long-en-Ponthieu, puis Longpré-les-Corps-Saints où ils sont revenus… Là, si vous l’ignorez, il y avait de bonnes channoisies (330) … Ils les ont embrasées après les avoir vidées de leurs trésors… tout ça parce que le pont était défait…
– L’Antéchrist, vous dis-je ! gronda le roi dont le visage s’empourpra davantage.
– En tout cas, dit Alençon, debout, à l’issue de cette journée nous pouvons dire qu’ils n’en veulent qu’aux ponts !… Je sais qu’ils sont allés à Picquigny et à Hangest… Trop tard !… La fortune des armes change à leur détriment… Il paraît que la Somme est fort grosse et bien large… Alors, messires, après n’avoir cessé de nous montrer leurs culs, ils seront bien contraints de nous faire voir leurs boudinés !
– Je n’ai pas encore vu leurs culs, chuchota le Moyne de Bâle en touchant son voisin de sa cubitière.
Ogier acquiesça et surprit le regard de Blainville dirigé sur Philippe VI. Il le trouva réjoui.
« Évidemment, avec tout ce qu’il peut ouïr en ces conseils !… Ce sont presque toujours des constats de défaites !… Édouard se joue de nous comme d’un troupeau d’enfançons ! »
– Ils sont allés à Oisemont et l’ont mise arse… Ils sont allés à Abbeville, toujours arsant et gâtant le pays…
– Ont-ils assailli Abbeville ?
– Nos espies, sire, nous ont dit qu’ils avaient essayé, mais les échevins, depuis deux ans, ont fait tant de dépenses pour fortifier leur cité que les Goddons ont été repoussés par le mayeur (331) Colard Le Ver…
– Qui commandait l’assaut ? Le savez-vous, Louis ?
– Warwick et Harcourt.
– L’infâme ! enragea Jean IV d’Harcourt, approuvé par son fils Aumale, qu’Ogier trouva
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