La fête écarlate
fer autour du corps ?
– Oui.
– C’est folie !
Ils se parlaient sans remuer la tête : ils s’étaient coiffés de leur culette, puis de leur bassinet que Raymond et Marcaillou avaient lacé sur le colletin de leur armure ; ils s’enivraient un peu de l’animation que le cortège provoquait à l’entour et se sentaient unis plus qu’en aucune autre circonstance. Leurs chevaux, dans leur houssement gris, semblaient indifférents aux cris, remuements, sonneries de cors et d’araines, et crépitements des crécelles dont les manants faisaient un usage abusif. On leur avait assigné les deux dernières places ; ainsi chevauchaient-ils derrière Guesclin, le heaume surmonté d’une aigle noire ailée de plumes d’oie et Herbert Berland dont l’emblème était un merlan d’or cherchant à se mordre la queue. Devant, Bouchard de Noyant balançait ses hautes cornes, et Raoul de Cahors portait la main à son bassinet, comme pour vérifier si sa tête de loup s’y trouvait encore.
Les trompettes sonnèrent aux quatre coins du champ, dispersant les pies et les pigeons perchés sur les vélums des échafauds. Le Roi d’armes cria :
– Vienne jouter qui trouvera jouteur !
Aussitôt, les hérauts coururent au-devant des compétiteurs et de leurs dames et, selon l’usage, hurlèrent leurs compliments :
– Voici, avec sa bannière, le glorieux Charles de Valois, comte d’Alençon !
– Arrive céans le roi des lices, messire Gauvain Chenin, chevalier, seigneur de Lussac : d’azur à la…
– Gloire à messire Maubue de Mainemares !
– Honneur au fils de preux et preux lui-même : Richard de Blainville !
André de Chauvigny, Jean IV d’Harcourt et le comte d’Aumale, son fils, eurent également droit à l’encensement. Et les hérauts, infatigables, continuaient :
– Voici Guichard d’Oyré, capitaine du château d’Angle, le plus habile béhourdeur du Poitou !
D’un regard étonné, Thierry observait ces appariteurs solennels, forts en gueule, mais aux façons courtoises : tous s’étaient découverts pour saluer les dames.
– Et nous, messire ?
– Ils ne nous citeront pas. Ils sont venus me trouver hier soir, en ton absence. J’ai refusé d’acquitter le prix de leurs louanges.
Le cortège, à présent, passait devant des forcloses bien garnies ; et déjà des gentilfames qu’une humilité fugitive avait retenues de se présenter sur le champ comme les enchaînées et les autres, hurlaient leurs déclarations d’amour :
– Je t’aime, Bernard de Sommières !… Gagne ! Gagne ! Gagne, et je te ferai fête…
Toutes s’appuyaient à la rampe des barrières, au risque de les renverser.
– Mon cœur t’appartient pour toujours, Guillaume d’Allemaigne ! Fais-leur voir combien tu as le bras solide !
Sans surprise, Ogier entendit la voix stridente de dame Berthe :
– Je te suis fidèle, Bouchard de Noyant !
Et certains qui, pour complaire à leur dame, avaient pris un nom de poursuivant d’amour, s’entendaient ainsi appeler :
– Mon cœur est près de toi, Gardifer !
– Ton Yseult t’aime, Tristan.
– Gloire à toi, Galahad ! Tous mes vœux te compagnent.
Les hérauts de hurler leurs ultimes conseils :
– Consolez les chevaliers, dames…
– Vous mettrez bientôt vos belles mains sur leurs tempes et leur front !
« Et ailleurs ! » songea Ogier.
Un des annonciateurs, vêtu d’écarlate vermeille, s’approcha :
– Dix sols, messire Fenouillet, et je proclame que vous êtes chevalereux. Toutes l (33) vous observent.
– Je vous ai vu hier, messire. Je suis pauvre…
Voyant Passac et Lerga chevaucher côte à côte, Ogier se sentit plein d’humeur et de férocité. S’il devait surseoir au châtiment de Blainville, sans toutefois lui épargner les coups, ceux-là pouvaient périr dès cet après-midi.
« Par mon rochet, Seigneur, et grâce à Vous, je ferai justice ! »
Dans l’ombre du viaire relevé, ses yeux se portèrent sur les échafauds. Il fut ébloui par le grouillement des étoffes et des pierreries, et cet éblouissement continua lorsqu’il posa son regard au pied de ces constructions resplendissantes de draperies : les soies dont étaient vêtus les juges, maréchaux de camp, conseillers des seigneurs et poursuivants d’armes, chatoyaient. Il y avait aussi cinq ou six greffiers, l’écritoire à la main : ils devraient établir un rapport fidèle des hauts faits de cette
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