La fête écarlate
messire :
– Obtenez-vous toujours ce qui vous fait envie ?
– Hum… Cela dépend… Je vois que tu connais Raoul de Leignes.
Les yeux du sergent, plus vitreux que d’ordinaire, se détournèrent d’Ogier vers Blainville, car le Normand expliquait :
– Il me plaisait, lui aussi. Je l’ai requis à mon service.
– Que dira Guy de Morthemer ?
Le rire gras du malandrin fut couvert par celui de son nouveau maître :
– Il n’est pas en état de contrester (25) par les armes !
Puis, désignant Thierry, Blainville s’étonna :
– Je connais cette armure noire. C’est celle…
–… d’Enguerrand de Briatexte. Il nous en a fait don à sa mort avec son épée, son cheval et l’écu que je porterai bientôt.
– Ah ! bon.
Derechef, la mésavenance apparut clairement sur la face rouge, crispée. De quoi souffrait Blainville ? Que craignait-il ? Ogier sourit :
– Raoul est digne de son prédécesseur !
– Va chercher mon cheval, enjoignit Blainville au sergent prosterné à ses pieds, dans la pose du second éperon.
Aussitôt debout, Leignes inclina sa grosse figure puis s’éloigna, frottant ses mains contre ses mailles.
– Il est fort… Il a un doigt de plus pour tenir une épée… Sache-le, Fenouillet.
– S’il me cherche noise, il me trouvera.
Leignes revint bientôt, menant le destrier du Normand par la bride. Ogier, voyant ce colosse pourtant connu, demeura saisi, incrédule.
« Seigneur ! Il est houssé de mactabas ou de nachiz (26) comme s’il allait devancer un roi à son sacre !… Il y en a au moins deux épaisseurs… La palette du troussequin est non seulement en argent et orfroi, elle est d’une hauteur que les juges devront désavouer sinon interdire : une fois en selle, Blainville ne sera point dans un faudesteuil mais sur une chaire d’où je ne le pourrai bouter !… Comment s’appelle-t-il, déjà, ce destrier ?… Melkart. Il est gros… Non pas gros : immense !… Sa flancherie (27) , sa pissière, tout son harnois est de cuir cordouan rehaussé de penthères (28) d’or et d’émaillerie… Ce n’est plus un coursier, ce n’est plus un roncin, c’est… l’évêque des destriers… Eh bien, il me faudra excommunier ce prélat à quatre jambes et la mitre qui le chevauchera ! »
– Comment le trouves-tu, Lancelot ?
– Outrément grand… L’on dirait que vous l’avez apprêté pour un sacre.
Tout en parlant, Ogier examinait les bossettes du mors travaillées à facettes, et les rênes de bride en cordouannerie rouge sang. Il se savait un air de circonstance : pâle, tendu, dévoré d’anxiété.
– Et si c’était la guerre entre nous, Lancelot ?
– Qui sait !
Le regard d’Ogier s’arrêta de nouveau sur la selle haute, profonde, qui emboîterait solidement les cuisses et les reins de son ennemi.
« Pour le bouter hors de ça, il faut un coup de géant ! »
Blainville riait toujours :
– Te fait-il peur ?
– Messire, je ne crains que Dieu.
Leignes s’était enfoncé sous la tente du Normand ; il réapparut, tenant dans ses mains affreuses les gantelets de son nouveau maître. Ogier vit que les jointes (29) en étaient d’argent.
Redevenu sérieux, Blainville demanda :
– Veux-tu que nous joutions les premiers ?
– Messire, c’est au Roi d’armes et maréchaux de lice…
– Oh ! ceux-là…
– Vous n’en faites tout de même pas ce que vous voulez !
Melkart encensait. Ogier sourcilla en lisant la devise brodée sur sa cuisse (30) . Au point où il en était, il pouvait exaspérer Blainville ; il le devait même : un adversaire irrité cessait souvent d’être maître de son corps, de ses nerfs et de son cheval ; son habileté s’altérait.
– Messire, j’ai idée que ce houssement appartenait à un autre destrier que le vôtre, partant à un autre prud’homme.
L’étonnement de Blainville se chargea d’une sorte d’inquiétude mais un rire prompt détruisit sur son visage les signes de son mésaise.
– À quoi l’as-tu vu ? Es-tu devin ?
– Nenni, messire… Cherchez bien !
Ogier salua poliment pour se retirer, mais Blainville le retint par la cubitière ornée du voile de Blandine. Le garçon se dégagea comme si cette main pelue était enduite de fiente.
– Je ne te comprends pas…
Un hoquet rompit cette voix où la fureur tremblotait sous une bénignité restreinte et hypocrite.
– Je ne t’ai rien fait et tu m’en veux…
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