La fête écarlate
Il se peut que tu me haïsses… Pourquoi ?
D’un ton tout à la fois confit et amusé, Ogier ne put que répondre :
– Vous haïr ?
Il trouvait ce verbe soudain faible, suave, erroné en tout cas pour un tel malfaisant.
– Vous haïr ? Nous en reparlerons, messire, un de ces jours !
Et tandis qu’entraînant Thierry, il s’éloignait de ce baron redoutable, un détail lui vint à l’esprit :
« Tout cheval harnaché se gonfle pour résister à la pression des cuirs. Et ce gros-là est plus sanglé que n’importe quel autre… Or, Leignes l’a peut-être houssé sans vérifier la tension des harnois… Il va secouer sa haute selle dans ses galops ; les courroies – étrivières, sous-ventrière – se relâcheront… Puisse Dieu me venir en aide et faire de ce Melkart un écouteux ou un ramingue (31) ! »
Dieu ! Pour y penser si fort et si souvent, il fallait bien qu’il se sentît menacé.
Une sonnerie de cuivres le tira de sa mélancolie.
– Messire, dit Thierry, les trompes ! Il est temps de nous jucher en selle et de nous joindre aux autres jouteurs pour la présentation à la reine, bien que cela ne nous fasse ni chaud ni froid !
« Parle pour toi, compère », songea Ogier sans oser désapprouver l’écuyer. « Il va me sembler comparaître devant une justicière qui pourra, si l’envie l’en prend, coiffer la capeluche pointue d’une bourrelle ! »
Bientôt, roide entre les arçons, Marchegai immobile sous lui, il se sentit dolent et comme découragé. « Ogier ! Ogier ! Ogier ! » avaient chanté les fillettes. Ce faisant, elles s’adressaient au Danois d’une geste qu’elles n’avaient assurément point lue. Pour les convaincre qu’un autre Ogier existait, il lui faudrait faire merveille.
« Le cœur est du côté de la quenouille, mais non le jugement ! »
Une ombre durcit ses traits. Il se devait de vaincre comme oncques chevalier n’avait vaincu. D’affecter dès maintenant la hautaineté de ses adversaires. Sous ce vernis factice gronderait tout au long du jour une forcennerie dont ils éprouveraient l’éloquence.
« Tout à gagner, rien à perdre ! »
En était-il si convaincu ?
Perdre la vie, perdre l’honneur, perdre… Blandine.
Il essaya de se remémorer quelques-uns des efforts auxquels il s’était astreint durant l’hiver afin d’être le meilleur et s’aperçut qu’il ne savait plus rien ou presque de ses joutes contre Thierry, ni même des prières qu’il avait improvisées en plein champ ou sous les arbres pour que sa vengeance fût bellement consommée. Sa jeunesse, qui semblait un obstacle à la réussite de ses desseins, pouvait, selon Adelis, en favoriser l’accomplissement. Pourrait-elle l’aider de toute son âme, du haut du Ciel ?
Thierry, à cheval lui aussi, ne disait mot. Sans doute pensait-il à Aude et regrettait-il son absence. Mais se pouvait-il que de telles songeries aidassent le corps à devenir plus solide et l’esprit plus clairvoyant ?
– On y va ? demanda tout à coup l’écuyer.
– On y va… Sois preux et n’aie crainte.
– Vous également !
III
Ils étaient une trentaine. Par une des larges hèzes (32) ouverte à leur intention, ils pénétrèrent lentement dans le champ d’honneur, ceux de devant chevauchant auprès de leur épouse, pour l’honorer. Ogier en avait compté dix : elles allaient à pied, la main senestre perdue dans le gantelet de leur mari, levant parfois les yeux vers son heaume immense orné de la faveur qu’elles lui avaient offerte. Trois d’entre elles, à l’adoration éperdue, s’étaient ceintes d’une chaîne dont l’extrémité s’enroulait à la taille du jouteur.
– Gloire aux grandes amours ! s’écria un héraut en les accueillant.
Et s’adressant particulièrement à la reine, il nomma en s’inclinant, les trois couples passionnés, sans que le bruit cessât tout à fait :
–
On battit des mains et fit subitement silence, car ç’allait être le tour de la Galoise et du Galois, elle nue, insoucieuse des lorgnades, dans une robe bleue transparente ; lui sans armure, n’ayant pour toute protection qu’une chemise de lin fendue entre les jambes afin de se tenir convenablement à cheval.
– Le sire Blondelet de Ponchardon et sa dame, Melette… d’argent à une molette d’éperon de sable mise en chef…
Tandis qu’on acclamait ces deux amants étranges, Champartel s’inquiéta :
– Va-t-il courir sans
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