La fête écarlate
journée afin que la postérité en eût connaissance. Des ménestrieux jouaient une musique vive, si fournie en sonneries de trompettes que certains chevaux s’ébrouaient, et du hennissement passaient à l’incartade. Des valets, des sergents requis au service des lices essayaient de les apaiser. Ceux-là, bientôt, auraient une autre besogne : évacuer les blessés et les morts, et contenir la foule dans le silence et le respect des jouteurs avant chaque nouvelle épreuve. Quelques fienterons râtissaient l’herbe écrasée où les mottes de crottin remplaçaient les taupinières.
Les chevaliers enchaînés se libérèrent ; leurs dames emportèrent les liens de fer, suivies par les sept autres épouses moins passionnées mais qui, elles aussi, envoyaient des baisers à leur compagnon. D’un geste, le Roi d’armes interrompit le tumulte, et face aux hourds, à égale distance d’Isabelle et de l’évêque, il hurla :
– Reine, monseigneur, damoiselles et gentilfames, bourgeois et manants de Chauvigny, voici venu, après les commençailles de ce matin, le tour des champions de la maître épreuve de la journée… En ce temple d’amour qu’est cette lice, vous allez voir de bons et hardis chevaliers !
Bien qu’il se fut estimé apte à lui résister, Ogier ne put maîtriser l’émoi qui l’envahissait, si pareil à un lourd chagrin qu’il en frissonnait, la gorge serrée, les paupières humides et picotantes. Il entendit un galop ; une ombre s’arrêta devant lui : c’était Blainville, la bouche, les yeux résolument haineux dans l’ouverture du bassinet. Son gros Melkart trépignait et mâchait son mors ; Marchegai l’observait, impassible.
– Lancelot !… Depuis le soir de Morthemer, je ne t’oublie pas : commençons-nous ?
Ogier ne pouvait atermoyer : tels que Blainville et sa monture se présentaient – une citadelle de fer et de muscles –, il fallait être intact pour les assaillir ou s’en défendre. Reporter leur béhourd à la fin de la journée, ce serait, éprouvé peu ou prou, se trouver à la merci de ce guêpin (34) .
– Puisque vous y tenez, courons-nous sus, messire.
– Oyez ! Oyez ! Oyez !… Deux nobles champions vont courir devant vous pour la première emprise d’armes !
Ogier regarda le râtelier garni d’une trentaine de lances dont les rochets scintillaient dans l’azur. C’étaient des armes simples, longues de douze pieds (35) , sans agrappe mais avec une dépression large d’une main pour l’empoignade. Elles avaient été peintes en blanc, une seule couche, de sorte qu’on voyait encore, çà et là, leurs nœuds et nervures. Un poursuivant d’armes en tira une et l’offrit :
– À vous, messire Fenouillet.
– Prends-la, Raymond… Ma targe, Marcaillou.
D’un bond, le jongleur fut en haut du montoir.
Ogier introduisit son avant-bras senestre dans les étroites énarmes du bouclier cependant que Marcaillou passait sur son épaule dextre la courroie tressée qu’il fixa, par son crampon de fer, à l’anneau inférieur de l’écu sous le coude replié. Il prit son temps pour passer la seconde courroie sous l’aisselle. Quand il eut assujetti la défense de bois et de corne du défunt Kergœt, il affirma qu’elle ne pourrait glisser ni éclater sauf sur un coup de rochet terrible.
– Tu as raison… Dans tout ce fer, et garanti par tes soins, je me crois dans une tour fortifiée.
C’était un mensonge : jamais il ne s’était senti si vulnérable.
– Une tour, messire ? Je dirais, moi, un donjon… Tenez, voici votre lance.
Raymond souriait sans que ses lèvres fussent décloses. Il avait peur.
– L’as-tu examinée ?
– Oui, messire, d’un bout à l’autre.
– Moi aussi, dit Denis. Elle est bonne.
Lentement, saluant l’évêque et les clercs au passage, Ogier mena Marchegai jusqu’à l’échafaud des dames que Blainville venait d’atteindre.
Il devait prendre son temps. Il courrait face au vent, comme il l’avait souhaité ; même s’il manquait d’air, il essaierait de demeurer visière close durant toutes ses courses et leurs préparatifs. Présentement, il sentait le soleil tiédir son nez, ses pommettes, ses lèvres. Il vit, face aux dames et au chevalier d’honneur, son ennemi lever sa lance puis l’incliner ; et comme messire Augustin passait, il l’interpella :
– Son cheval et sa selle méritent la prohibition, juge !
– Hé oui, je sais et conçois votre
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