La fête écarlate
bassinet emplumé de pennes d’oies, ventaille ouverte, reconnaissable également à son écu armorié : de gueules à deux fasces d’or. Tel un sanglier décousant les veautres acharnés à sa perte, Harcourt frappait en poussant des grommellements incessants.
– Allons-y, l’ami !
Éclaboussé d’un sang qui ne pouvait être le sien, car il se fut montré plus rétif, le Blanchet se comportait bien, obéissant aux rênes, ruant, chargeant, pressentant les dangers.
– Allons !
De droite et de gauche, à grands coups de tranchant, Ogier reflua de la presse et la contourna. Il n’entrerait plus dans cette boucherie ; il se battrait… là… contre Harcourt dont la face apoplectique béa d’étonnement :
– Toi !
– Oui.
Ils croisèrent leurs épées, quillon contre quillon, poing contre poing, ardeur contre ardeur, n’osant amorcer le combat ; puis Harcourt recula pour, de son bras formidable, y aller d’un fendant à l’épaule.
Ogier reçut le coup sur le bord supérieur de sa taloche. Le tranchant adverse s’y inséra et demeura le temps qu’il répondît d’une estocade au cœur.
– Je ne peux pas ! cria-t-il tandis que sa lame, passant sous l’épaulière et l’aisselle du Boiteux, piquait du vide.
– Fuis ! Le temps t’est compté… Dieu te garde !
Les piétons accomplissaient leur office. Après avoir démonté les chevaliers en les saisissant aux chevilles, les coustiliers goddons perçaient et tranchaient. Certains bidaus (355) agiles sautaient en croupe des chevaux et de leurs longues lames insinuées sous le gorgerin ou le camail, meurtrissaient à qui mieux mieux. La mêlée devenait inextricable et la résistance apparaissait inutile.
– Messire ! cria Champartel. Quelques-uns d’entre nous guerpissent !
Ogier lâcha sa taloche, fit tourner son Blanchet et suivit l’écuyer, désolé, jusqu’à cent toises au-delà de la berge pour le moment française encore ; ils y trouvèrent Jean de Picquigny, le viaire de son bassinet ouvert, les fers de son armure ensanglantés, ainsi que quelques chevaliers hagards, indécis et furieux.
– Voyez ! dit Thierry, leur désignant un cavalier galopant vers l’intérieur des terres. Il faudra dénoncer cette deffaute (356) !
– C’est Godemar ! enragea Picquigny. Il fuit !… Ce couard nous abandonne !
– Que Dieu le châtie ! souhaita Ogier.
Se penchant, il s’aperçut que son Blanchet saignait par une entaille au garrot :
– Regarde, Thierry, ce qu’il a.
L’écuyer examina la blessure.
– Ce n’est rien, messire. Hâtons-nous : vous savez qu’Alençon nous attend ! Nous lui dirons, pour le Godemar (357) !
– Partez ! dit Picquigny. Vous avez fait de votre mieux…
Et comme un chevalier venait à sa hauteur :
– Du Cange !… Ah ! je suis heureux de te revoir… Pour un trésorier des guerres, tu te bats bien !
– Je n’en reviens pas moi-même !
– Tâchons, l’ami, de revenir de ce combat !
Rassemblant une compagnie de vougiers, les deux hommes repartirent vers la mêlée.
– Voilà, dit Ogier, une appertise (358) qui me paraît inutile… Et personne ne commande plus à nos hommes !
Des cavaliers anglais parvinrent sur la berge ; les arbalétriers et les archers les ajustèrent ; quelques-uns tombèrent, percés de carreaux et de flèches, mais d’autres accouraient, précédés d’une bannière que son porteur plantait sur le sol conquis tandis que des cris joyeux retentissaient et qu’en bon ordre, à l’abri de leurs grands pavois gironnés d’or et de gueules, dix ou douze rangs de guisarmiers et de vougiers s’apprêtaient à combattre les piétons d’une armée désormais sans chefs.
– Regarde, Champartel !
Déjà, bien que la mêlée des chevaliers continuât – plus dure qu’en son début, car moins nombreux, ils avaient plus d’aisance à s’occire – des phalanges de nettoyeurs armés de crocs et de perches repoussaient les cadavres encombrant le gué tandis que, sur la rive anglaise, des compagnies et des chariots en bon arroi commençaient à cheminer vers le passage.
– On le voit bien !
– Qui, messire ? Édouard ?
– Non : le gué.
Sous l’eau sanglante et gluante, la marne et les cailloux formaient une espèce de tapisserie claire, et c’était vrai : douze hommes pouvaient y passer de front.
– Partons, Thierry. Les Goddons vaincront. Il faudrait même sonner la retraite… S’ils
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