La fête écarlate
trottait devant ; les piétons suivaient, formant d’innombrables tentacules à cette énorme tête de fer où le roi et son frère avançaient de conserve. Partout ondulaient les longues flammes des gonfanons et, plus petites, celles des pennons et des bannières.
– Les voilà, Thierry, qui arrivent d’Airaines. De nouveau, Philippe fait tout à l’envers : c’est sur la rive où nous sommes qu’il devrait arriver après être passé par le pont d’Abbeville… C’était pourtant bien simple.
– Pas tant que cela, messire ! Il a cru son Godemar capable de repousser les Goddons ou de les maintenir jusqu’à son arrivée…
Ogier ne put s’empêcher de rire :
– Ah ! il est beau, son champion… Même en le croyant bien vertueux, il aurait pu, je te l’ai dit, séparer l’ost en deux parties et les lancer de part et d’autre de la Somme !
– Maintenant, les Goddons ont sûrement passé le gué.
– Et la mer regrossit le fleuve à l’embouchure !
– Le roi va devoir attendre le reflux du soir…
– D’ici là, Édouard mettra quelques lieues à son profit.
Ogier soupira. Il aurait donné cher pour être à cent lieues de ces plaines où l’ost de France ne cessait de se couvrir de honte. Il semblait que jamais les deux armées ne dussent se rencontrer. Tout l’excédait, et cependant, il offrait à Thierry la vision d’un homme froid, peut-être indestructible.
– Le pourchas va devoir continuer… Allons, viens : il nous faut retraverser… cette fois sur notre selle : je suis trop las, trop destourbé (359) pour nager.
– Nos chevaux…
– Ils passeront. Tout comme nous, ce sont de braves bêtes !
*
– Ah ! Fenouillet, comme vous voilà… Vous vous êtes battus, vous et votre écuyer ?
– Sire, il y a eu…
– Il va vous falloir fourbir vos armures. L’eau de par ici doit être salée, ce qui est fort mauvais, surtout pour les jointures des cubitières et des genouillères… et les cuirs, tous les cuirs qui joignent les plates !
– Oui, sire…
Philippe VI, le visage toujours cuit sous sa défense de fer comme un homard au fond d’une bassine, rayonnait : ayant agité bien haut son marteau d’armes, ses rois, princes, comtes, barons, écuyers et piétons s’étaient immobilisés d’un coup.
– Avez-vous vu Gauric, sire ?
– Nullement… Pourquoi ?
– Je vous l’avais envoyé dès l’aube, sire, pour qu’il vous dise…
– Dites-moi plutôt, Fenouillet, et sans plus tarder, si mon bon Godemar remplit bien sa mission !
N’osant répondre crûment : « Il a fui », Ogier fît l’étonné :
– Ne l’avez-vous pas vu, sire, lui aussi ?
– Certes non.
– J’ai cru qu’il galopait seul vers vous pour vous demander du secours.
C’était habilement dit, mais Philippe VI manquait de subtilité. Son frère abruptement demanda, tout en tirant sur les rênes de son destrier dont la bouche écumait.
– Du secours ?… Les Anglais ont-ils escarmouché ?
– Un grand hutin, monseigneur, au lieudit la Blanche-Tache.
Il y eut un cri, une sorte de vagissement : le roi s’étouffait de surprise et de rage :
– La Blanche-Tache, dites-vous ?… Ainsi, quelque félon nous a trahis !
– Il faut croire, sire.
– Et ils sont passés à gué ?
– Oui, sire.
Thierry s’inclina, tout en calmant son cheval épuisé :
– La bataille, sire, a été dure et félonneuse.
– Mais… Godemar du Fay était bien présent ?
– Oui, sire… Au début…
– Vous avez estrivé des Anglais, Fenouillet ?
– Oui, sire. Mon écuyer aussi.
– Et ils sont passés !… Par saint Denis, il fallait les repousser !
– Sire, dit Ogier d’une voix frémissante d’un mépris mal contenu, mais qui pouvait passer pour de la colère à l’égard des ennemis. Sire, ils étaient trente mille en fort bon arroi… Du Fay est arrivé bien tard… avec seulement dix mille hommes.
Philippe VI baissa sa tête rouge ; Alençon, lui, tonna :
– Par le sang du Christ, c’est encore une bien mauvaise journée… Nous apprenons que Jean, mon neveu, vient de lever le siège d’Aiguillon (360) …
– Sur mon mandement, Charles, crut bon de préciser le roi.
–… et vous nous annoncez qu’ils ont franchi la Somme !
Philippe VI regarda le ciel comme s’il en attendait une aide, tandis que son puîné frémissait tellement d’indignation que sa ventaille, mal retenue par une de ses
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