La fête écarlate
s’élançait au-devant d’Aude tandis qu’Ogier ouvrait ses bras à tous : Jourden, Lesaunier, Guillemette au gros ventre ; Bertrande, Gosselin, Isaure et Jeannette… Asselin, Courteille, Desfeux… Bertine… Aguiton…
– Et mon père, Raymond ?… Mon père ?
– Rassurez-vous, messire, il vit, dit Marcaillou qui revenait en hâte. Et voyez comme ils sont bien aises de vous revoir !… Holà, Madeleine où es-tu ?… Viens vite !
Une ivresse éclatait à travers la cour. Hommes et femmes accouraient vers ce seuil qui jamais, depuis plus de six ans, n’avait livré passage à autant de guerriers. Ils tournaient autour de ces inconnus pacifiques, et des rires, des lambeaux de phrases tissaient autour des douze hommes de fer une trame de joie et d’admiration à laquelle les nouveaux venus – surtout les Génois – se montraient sensibles. L’enceinte échappait à son fatal sortilège, et Ogier considérait ces visages débiffés sur lesquels la peur refluait.
– Nous ne vous espérions plus, avoua Jourden.
– On vous croyait morts l’un et l’autre, dit Madeleine Gosselin en tendant ses joues aux lèvres d’Ogier.
– Et vous voilà ! s’exclama Lesaunier.
– Et pas seuls ! roucoula Isaure en essuyant, du coin de son pauvre sarrau, une larme.
C’était bon de les revoir tous. C’était bon d’entendre cette rumeur faite de chuchotements, de cris, de sanglots et de rires.
– Je vous apporte davantage encore que ma présence… Et Thierry aussi… Nous vous apportons la joie… Soyez patients : je vous dirai tout en présence de mon père ! Apaisez-vous…
Mais ils ne l’entendaient pas, trop heureux de s’ébaudir un bon coup.
– Raymond, rassure-moi !
– Messire, soyez quiet : le voici.
Godefroy d’Argouges, chancelant, venait d’apparaître sur le seuil du logis seigneurial.
Quelques bonds sur les degrés du perron et Ogier fut auprès de son père. Tout en fléchissant un genou, il prit la dextre du vieillard dans ses gantelets :
– Père !
Il s’étranglait de surprise et d’émoi, trouvant cet homme plus éprouvé qu’à son départ, et il fut terrifié par cette évidence : il restait à ce père qu’il avait si peu connu quelques mois, quelques semaines de vie… à moins que ce qu’il avait à lui dire ne créât un miracle :
– Père, grande est ma joie de vous revoir… Je vous apporte honneur et satisfaction : j’ai confondu Blainville en présence du roi. Je l’ai occis dans un combat très dur… Philippe VI m’a donné ainsi qu’à Thierry une escarcelle bien remplie pour que je forme une lance… Voici mes hommes devant vous avec une bannière qui est vôtre et que vous aurez fierté de déployer !
Godefroy d’Argouges restait muet et ce fut à peine s’il regarda la bannière. Ogier, debout, ôta son bassinet :
– Ô Père, je vous ai et je nous ai vengés !
Le vieillard soupira. La contraction de ses mâchoires, tout en durcissant les chairs de son visage, accusa la multitude de ses rides ainsi que le creux de ses joues d’affamé. Il tremblait, serrait maintenant ses mains osseuses, frileusement, songeant sans doute avec une amertume immense à ces six années d’épreuves qui venaient de basculer dans le néant.
– Père, demain nous irons à Coutances. Nous y publierons que vous êtes de nouveau l’homme que tous les nobles, bourgeois et manants respectaient… Je lirai moi-même la lettre patente par laquelle Philippe VI exprime ses regrets pour une erreur funeste et me prie d’aller me saisir en son nom du châtelet de Blainville… Ensuite j’enverrai un héraut et des hommes dans les cités voisines. Je veux qu’à dix lieues à la ronde, on apprenne votre résurrection !
Et ce mot, en l’occurrence, ne lui paraissait pas trop fort.
Il vit Aude, au bras de Thierry, les rejoindre, tandis qu’aucun des serviteurs n’osait gravir les degrés du perron. Ils restaient là, heureux, ébahis, au bas des marches, mêlés aux hommes d’armes qui, laissant leurs chevaux et les mules, s’étaient approchés. Le pont-levis demeurait ouvert, mais qu’importait ! Un plaisir impérieux déferlait en lui, Ogier d’Argouges, donnant à sa parole une véhémence inopinée :
– Père, Aude, compagnons et compagnes !… Tels que vous nous voyez, Thierry, ces soudoyers et moi revenons d’une terrible bataille… Nous vous en parlerons plus tard… Ce qui présentement me paraît essentiel,
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