La fête écarlate
furieusement des atteintes de Blainville, et fit front à Cahors, qui venait de frapper sur le chanfrein du cheval du comte sans que les juges s’en fussent indignés.
« Bon Dieu ! Seraient-ils complices ?… Veulent-ils tous meurtrir le frère du roi ? »
Les coups pleuvaient de partout, allumant autour des combattants des gerbes d’étincelles. Ogier ignorait où se trouvait Thierry. Qu’importait : l’écuyer saurait se défendre.
Quand il vit, après Cahors, Blainville abattre sa massette sur l’encolure du cheval d’Alençon, il le chargea :
– Crapule ! Tu sais bien que c’est défendu.
Il ne pouvait se dominer : sa haine devait éclater, sans quoi, elle l’eût étouffé. « Je vais l’occire ici… J’en sais suffisamment, désormais, pour que le roi comprenne que mes paroles sont la vérité vraie ! » Il se sentait fort, serrant Marchegai dans ses genoux et respirant petitement, certes, mais bien. Il ne suait plus. Il entendait dans le frai (165) des chevaux les combattants jurer, crier leur enseigne et la grande rumeur du public : un bruit de mer aux marées d’équinoxe. Déjà, une poussière jaunâtre montait de cette terre où les herbes mouraient sous les croissants de fer.
– Encore toi !
Marchegai venant de prendre un coup sur sa têtière, Ogier lâcha les rênes afin de heurter des deux mains le griffon de l’agresseur. Son mouvement fut maladroit : atteint par la massette au ras du colletin, Blainville ne branla même pas. Espagne chargea Thierry, qui recula tandis que tout proche de l’écuyer, un des tournoyeurs de profession, attrapant Guînes à bras-le-corps, l’entraînait avec son cheval vers ses compagnons et des compères à leur solde.
Ogier vit encore Tancarville choir à grand fracas, tandis qu’Alençon se dégageait et reculait.
« Il m’abandonne à Espagne et Blainville ! »
Reprenant les rênes, il laissa Marchegai l’entraîner vers Cahors. Guesclin se mit en travers du passage. Le destrier aux mouvements rapides, suivant du mors l’emprise légère, fit un écart et déjoua un coup.
Le cheval de Cahors se présentant de flanc, Marchegai l’affronta du poitrail ; il tomba entraînant l’homme dans sa chute.
– Capture ce cheval, Thierry !
À grands coups sur le cimier d’Espagne – si puissants que le cœur qu’il supportait vola en éclats –, l’écuyer se libéra de son adversaire.
– Fenouillet !
Alençon de nouveau, entouré de quatre hommes.
Alençon ployant son dos de fer sous une averse de masses d’armes et d’épées.
– Tenez bon, nous…
À ce moment, une trompette sonna, exigeant des tournoyeurs une interruption immédiate. Mais une interruption pourquoi ?
Le combat cessa. La plupart des hommes firent face aux échafauds, l’arme pendante afin de reposer leur bras ; certains ouvrirent leur bassinet.
Ogier, la gorge et le front brûlants, regarda la tribune des juges et tressaillit : les prenant à témoin, le bras tendu vers lui, Isabelle hurlait de sa voix pointue :
– Fenouillet est indigne, messires ! Il est menteur, parjure, plein de vices !… Il a, il m’en coûte de le dire car je me sens devenir plus rouge que son Poing… il a violé ma tante la nuit dernière… Elle-même, à sa grand-honte, a dû se plaindre aux juges avant de s’en retourner toute dolente à Morthemer…
Un « Oh ! » immense souligna l’accusation. Ogier remonta sa visière et se tourna vers la damerie (166) assise, figée, devant laquelle, debout, son accusatrice, hors d’haleine, cessait soudain de le vitupérer.
– Menteuse !… Menteuse et traîtresse ! Dieu te châtiera !
De partout des « Hou ! Hou ! » , des sifflets s’élevèrent tandis que suffoquant d’indignation, l’accusé levait la main pour tenter de rétablir le silence. Il fallait qu’il se justifiât, sans quoi tenants et opposants allaient se ruer sur lui pour l’occire.
– Menteuse !… Menteuse !
Et s’adressant aux dames :
– Ne croyez pas, gentilfames, toutes ces barateries (167) ! Refusez, je vous prie, d’accepter cette amise (168) !
– Laissez parler la reine ! exigea Olivier de Fontenay. Elle n’en a pas fini avec vous !
– Il est luxurieux et diabolique ! exultait Isabelle. Je l’ai vu, la nuit où il fut reçu à Morthemer, invoquer Belzébuth dans sa chambre… Et c’est sûrement pourquoi il a vaincu hier, messires !… Il n’a pas communié ce matin : il
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