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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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froide et d’autant plus redoutable. Ogier sut qu’il ne parviendrait jamais à se guérir du mal de l’âme et du corps qui commençait à le ronger.
    – Voilà des amis qu’il vous faudra choyer !
    Oyré ricanait, jubilait. Ses hommes lui sourirent et bombèrent le torse. Ogier aperçut, accroché au cou de l’un d’eux, un collier d’oreilles humaines racornies, sauf une, rose encore, où du sang se croûtait.
    – Nous ferons en sorte, messire, qu’ils aient grande recordance (182) de nous quand ils seront en Paradis.
    Le Bastien – trente ans – avait une voix sobre, des yeux de porc, un nez en façon de groin. Prenant Ogier par l’épaule, il lui fit franchir le seuil. Le geste se voulait familier, mais la main osseuse pinçait la chair aussi fort que des tenailles.
    – Oh ! Oh !… Tu ne bronches pas. Je sens que je vais m’égayer avec toi !
    L’homme lâcha prise. Ogier vit une cour dont une herbe drue et crottée souillait le pavement. Contournant quelques bersails (183) hérissés de carreaux et de flèches, au pied desquels gisaient des arbalètes, le captif marcha ensuite droit devant lui, attentif à la disposition des bâtiments, les uns souffrant d’un manque d’entretien, à l’usage des larrons, les autres appartenant aux quelques puissants de cette enceinte où l’évêque, à ses visites, devait avoir ses aises au donjon. La porte s’en ouvrit : la lumière de l’intérieur tomba sur les premières marches du perron tandis que deux chiens dévalaient l’escalier et venaient flairer les chausses d’Ogier en grognant mais en agitant leur queue.
    « Ils sentent Saladin… Si je parviens à m’évader, peut-être n’aboieront-ils pas. »
    – Allons, monte… Entre…
    Rudoyé par le gros Bastien, Ogier se trouva sous une coupole de pierre à fines nervures, mélange de tinel (184) et de parloir de monastère où quelques flambeaux semblaient ne vouloir éclairer que le Christ de bois noir écartelé sur un mur. Trois jouvenceaux se tenaient là, assis à une table, devant des gobelets, un pichet, une boule de pain poignardée jusqu’au manche et une aune de boudin lovée sur un plateau de bois.
    – Ah ! tiens, dit le plus âgé en se levant. Deux d’un coup, ça devenait rare… Et un géant par-dessus le marché !
    Oyré entra, ôta son manteau de lin roux et vida le pichet d’un trait, puis avec un soupir :
    – Va falloir les descendre sans tarder… Approchez.
    Ogier et Calveley obéirent. Oyré déplanta le couteau de la miche, se coupa deux doigts de boudin qu’il avala d’un coup, peau comprise, puis trancha les liens des prisonniers. Et comme ils frottaient leurs poignets douloureux :
    – Ce n’est que petit grief (185) , messires… Ouvre-nous, Bastien.
    Le soudoyer se dirigea vers un angle encombré de hauberts ployés sur des tréteaux et d’un râtelier d’armes auquel il accrocha le bassinet du capitaine. Et tandis qu’il déverrouillait une porte, Ogier sentit l’angoisse lui embuer le front.
    L’huis s’ouvrit. Une odeur complexe, écœurante, flua dans la pièce. C’était celle – connue – des souterrains à laquelle se mêlait quelque chose d’autre et de pernicieux. Quelles douleurs et quelles mortalités, sans doute, fermentaient au-delà de ce seuil d’ombre ?
    – Ça sent le cercueil, hein ? dit Oyré.
    Obliquement assis sur la table, il reprit du boudin :
    – Rien de nouveau, Bernardet ?
    – Non, dit un garçon.
    – Rien, en dessous ?
    – Un moine qu’on nous a mené hier…
    – J’aurais pu le convoyer avec ces deux-là, mais monseigneur tenait à s’en débarrasser en hâte… Pourquoi, Eudes, me regardes-tu ainsi ?… Tu n’y as pas touché, j’espère !… L’évêque sera des nôtres vendredi, pour ce moine, et surtout pour lui : Fenouillet…
    – Ah ! bon, fit le troisième jouvenceau.
    Attrapant le boudin comme une anguille ou un serpent, il y mordit à pleines dents.
    – Tu ne sauras jamais manger proprement, Robert ! gronda Oyré.
    Il parlait comme à des enfants, ses enfants, et ces trois-là, d’ailleurs, étaient d’une extrême jeunesse : treize ans, peut-être moins. Ils avaient des traits vifs et fuyants, des bouches minces, des yeux sans pitié ni pudeur, et globuleux à force de hanter les galeries obscures. Leurs façons et leur gaieté naissante confirmèrent Ogier dans ses prémonitions : afin de complaire à Bastien, pour l’instant immobile, ces geôliers en

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