La fête écarlate
L’espace d’un clin d’œil, il se reprocha l’absurdité de son entreprise. Jamais il n’aurait dû quitter Gratot, jamais il n’aurait dû se soumettre à la volonté d’Alençon, jamais il n’aurait dû prendre part au tournoi, jamais il n’aurait dû secourir Isabelle ! Sous l’afflux de son sang bouillant d’angoisse et d’impuissance, son oreille blessée le brûlait comme un tison.
– Pendaille (186) ! dit-il. Ah ! vous tirez vos lames… Quels preux vous faites, en vérité !
– C’est des larmes que nous allons tirer de toi !
Oyré riait. Ogier maudit la misère de sa défense : ses mains.
– Fredains (187) !… Gobelins (188) !… Quel parfait chevalier vous commande !
Ils s’approchaient, les bras écartés du corps, le dos voûté, prêts à l’attaque, et comme tout lui paraissait vain au point qu’il valait mieux mourir là, maintenant, hardiment, et laisser à Thierry le soin de sa vengeance, Ogier attrapa Bernardet, le plus proche, brisa son poing armé contre la paroi et, lui tordant les bras par-derrière, l’entraîna contre une porte où il le présenta comme un bouclier aux poignards.
Tant d’audace indigna les malandrins, furieux également de l’imprudence de leur compagnon.
– Que veux-tu que ça nous fasse ! ricana Oyré. Tu es seul !
– Hé ! fais pas ça ! hurla Bernardet.
Il ne put protester davantage : Bastien lui plongeait sa lame dans le corps, le poussait et réduisait le récalcitrant d’un coup de poing sur la tête.
Ogier s’écroula, voulut se relever, se débattit avec une fureur animale pour échapper à toutes les serres accrocheuses ; loin de s’en délivrer, il se foula l’épaule, ranimant dans celle-ci les douleurs dont Benoît Sirvin l’avait soulagé.
Il avait déjà vu des faces terrifiantes, en particulier lors du sac de Saint-Rémy par les routiers de Robert Knolles ; aucune n’aurait pu rivaliser en férocité avec celles qui, devant lui, composaient un feston de cauchemar.
Ils l’étendirent sur le ventre ; il se débattit et se trouva sur le dos. Un flambeau s’approcha si près de son visage qu’il dut fermer les yeux.
– Je pourrais te brûler les paupières, les lèvres… tout !… Je n’en ferai rien car il faut que tu sois beau pour paraître devant tes juges !
Ogier sentit la grosse main de Leignes peser sur sa poitrine, pour le maintenir au sol.
– Vous n’allez pas le rouer !… Messire Blainville a dit…
Oyré rejeta cette protestation. Ogier profita de ce début de discorde pour se débattre encore. La grosse main s’écrasa sur sa face. Il sentit des graviers s’enfoncer dans son crâne, et comme il luttait encore, Leignes soudain dressé lui lança dans l’oreille, de l’extrémité de sa heuse, une (189) forcenée.
Il hurla sous l’effet d’une souffrance qui lui crevait le cerveau mais se regimba encore, luttant et gémissant, parvenant à s’arcbouter pour retomber sous le poids de deux corps couchés en travers du sien.
Épuisé, pantelant, incapable d’accomplir le suprême effort qu’exigeait sa frayeur, il sentit qu’on baissait ses chausses. « Ils ne vont pas… » Il n’en pouvait plus de douleur et de honte.
– Quel beau mâle ! dit Bastien.
On écarta ses jambes.
– Remonte ça, Eudes. Je ne lui trancherai ni les fioles ni les jarrets puisque j’ai mieux pour ce jour d’hui !… Il nous faut inaugurer cette roue !
Ogier se releva dans un ahan terrible et se battit encore. La peur le revigorait ; il ne souffrait que de cet effroi sans fond. Un coup de poing l’étourdit. Il se sentit saisi aux chevilles, aux poignets, soulevé. Il parvint à libérer un pied ; on lui tordit l’autre et il chut, écartelé, sur la roue dont l’essieu pénétra dans son dos. Quelques gestes : ses bras, ses jambes, son cou se trouvaient liés au bois.
– Quel beau saint André ! s’écria Eudes, les mains jointes.
Ogier grelottait ; un cri montait en lui qu’il ne pouvait émettre. « Ils vont me rouer ! Me rouer ! » Il ne savait à quoi s’accrocher ; certains eussent sangloté, supplié : « Pitié ! Pitié ! » Pas lui.
– Saligots ! dit-il. Il ne put les injurier davantage et ne vit plus rien : le nommé Robert venait de s’asseoir sur sa tête.
Alors, il entendit Leignes protester :
– Non, messire Oyré !… Non !… Lâchez ça !… J’ai bien voulu être des vôtres pour le voir esméer (190) … Mais
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