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La fête écarlate

La fête écarlate

Titel: La fête écarlate Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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herbe devaient, dans leur service et dans la cruauté, déployer une ardeur inlassable. Cette soumission d’esclaves avait de quoi surprendre tant les visages de ces béjaunes exprimaient d’arrogance. Voyant rire Bernardet dont le regard venait de croiser le sien, Ogier sentit ses nerfs craquer : moins disposé que les autres à la servitude, ce devait être le pire de tous.
    – Messire Oyré, dit-il en touchant son menton qu’un abcès déformait, lors de votre absence, nous avons mis la roue en place. À vous de l’inaugurer, sinon j’en demande l’honneur !
    Le capitaine émit un grognement à la suite duquel Ogier sentit peser tous les regards sur lui.
    – Tu as raison, mon compère : il convient de rénover nos pratiques… Allons, bâtards, avancez… Et la main sur vos lames, vous autres, pour le cas où nos hôtes se montreraient désagréables… Viens, Leignes, puisque Blainville t’a demandé de veiller sur eux… Avec tes poignes à six doigts, tu vas nous aider…
    – Ne riez pas de mes mains, messire : elles vous étrangleraient comme un rien !
    Insoucieux de la menace, Oyré décrocha une torche et s’engagea, derrière Bastien, dans un escalier aux degrés inégaux et glissants.
    – Tu me suis de près, Fenouillet, comme si tu craignais de me perdre ! Or, foi d’Oyré, c’est moi qui vais te perdre… C’est le dernier matin où tu descends des marches comme tout un chacun.
    Sous le cintre gluant, le rire du capitaine retentit, provoquant ceux de ses sicaires. Ogier glissa et se retint à une aspérité du roc. Comment sortir de ce tombeau ? Plus ils descendaient, plus l’odeur de pourri devenait oppressante, malgré celle des poix ardentes.
    Des marches plus étroites, plus creuses. Quelle profondeur !… Le garçon pensa que l’endroit où on les conduisait, Calveley et lui, se trouvait au niveau des eaux de l’Anglin, peut-être au-dessous. Les infiltrations devenaient nombreuses : des ruisselets glissaient leurs serpents argentés sur les parois surgies de l’ombre, parmi les tumeurs rousses et suppurantes des moisissures et de grosses verrues calcaires.
    Oyré atteignit une espèce de placette en demi-lune. Ogier frémit en découvrant, exhaussée en son milieu, une roue, et dessus la longue barre de fer destinée à rompre les os. Il avait entendu parler de cet instrument de supplice. On disait qu’il était une « spécialité » en usage aux Allemagnes. Eh bien, il en avait, devant lui, un exemplaire.
    – Voilà notre petite merveille, messire, dit Bastien.
    – Bien !… Bien, les gars.
    Et tandis que le capitaine, de son pied, faisait tourner l’appareil infernal, Ogier se rassura péniblement : «  Ils ne peuvent nous faire ça !… Du moins pas jusqu’à vendredi… » Il compta dans le rocher quatre portes de bois alourdies de ferrures, entre lesquelles des anneaux chargés de chaînes devaient servir à maints usages. Oyré et Bernardet introduisirent les manches de leurs torches dans des anses de fer scellées à la muraille. Il faisait en ce lieu aussi froid qu’en hiver.
    – On va enfermer le Goddon dans celle-ci.
    Tandis qu’Eudes, le plus petit des geôliers, faisait craquer une serrure puis tirait des targettes, Ogier se tourna vers l’Anglais. Il s’était acculé à la paroi. Confronté aux réalités de ce lieu de souffrance, il s’apeurait aussi. Il regardait ces fantômes vivants, aux yeux secs, aux bouches rieuses, si chargés d’une méchanceté pareille à celle de leur chef qu’on eût pu les confondre : différents, pourtant, en surface, par l’habit et la carrure, ici, dans cette caverne, aux lueurs de leurs flambeaux, la fraternité du mal les faisait semblables.
    – Laisse-toi faire, ça vaut mieux, conseilla Bastien à Calveley.
    Trop grand pour cette coupole de pierre, l’Anglais se tenait ployé. Son long bras de singe s’allongeant soudain, le geôlier saisit le prisonnier par son pourpoint et le poussa à l’intérieur de la cellule sans que celui-ci n’eût rien dit. La porte se ferma ; les pênes entrèrent dans leur gâche.
    – À l’autre, à présent, dit Oyré. Ouvre à côté pour notre ami. Mais avant, les hommes, vous savez ce que je vais faire ?… Cette roue me tente trop.
    Il saisit la barre de fer :
    – Allonge-toi, Fenouillet.
    – Non.
    Ogier basculait dans l’horreur. Il percevait l’haleine et le plaisir des malandrins réunis en un demi-cercle chancelant devant lui.

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