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La Fille de l’Archer

La Fille de l’Archer

Titel: La Fille de l’Archer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Serge Brussolo
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fait qu’aviver son appétit. Serait-elle en train de se changer en ogresse ? Elle se sent de taille à dévorer tous ses ennemis. Elle est devenue une walkyrie… une chasseresse… celle qui choisit ceux qui monteront au Walhalla.
    *
    Le baron Malvers de Ponsarrat se bat torse nu, dans la fraîcheur de l’aube. Comme il en a l’habitude, chaque matin, il affronte en combat singulier trois de ses chevaliers. Pour ce faire, il n’utilise pas les épées de bois rituellement réservées aux entraînements. Il combat avec une vraie lame, et impose à ses adversaires de l’imiter.
    C’est un exercice dangereux, où l’on peut encaisser un mauvais coup, mais il tient à impressionner ses hommes. Il sait qu’il vieillit, et doit sans cesse prouver qu’il reste le meilleur s’il ne veut pas voir sa place bientôt contestée par un godelureau avide de pouvoir. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il pratique depuis toujours une cruauté ostentatoire et joue à paraître plus mauvais qu’il n’est en réalité. On ne peut régner sur les fauves que par la peur.
    L’odeur des combattants excite les chiens qui bondissent derrière les barreaux du chenil, frustrés de ne point être conviés à ce qu’ils croient être une tuerie.
    Les relents de transpiration se mêlent à ceux du bois carbonisé montant des écuries en ruine. Au milieu des poutres noircies on devine la carcasse d’un cheval surpris par les flammes et réduit à l’état de statue de goudron.
    Haletant, Ponsarrat injurie ses adversaires, les traite d’eunuques, d’invertis, de gitons, espérant attiser leur haine. Il s’exaspère à l’idée qu’ils l’épargnent peut-être, le jugeant trop vieux pour parer leurs coups.
    La sueur ruisselle sur sa poitrine où d’anciennes cicatrices inscrivent des zébrures blanchâtres, cautérisées à la diable.
    Mais il a beau rugir, plastronner, il n’est point dupe de sa propre comédie. Il sait qu’il ne possède plus l’énergie d’antan. La fureur guerrière qui l’a jadis rendu célèbre l’abandonne peu à peu. La plupart du temps, il feint la colère, mime une rage outrée alors qu’il n’éprouve qu’agacement. Comédien improvisé, il en est réduit à jouer son propre personnage, le caricaturant à l’excès. Il ne peut faire moins car on le guette. Souvent, lorsqu’il tourne la tête, il surprend ses chevaliers qui l’observent à la dérobée. Ils sont là, à guetter la fêlure, tels des corbeaux perchés au sommet d’une potence se réjouissant de la putréfaction avancée d’un pendu.
    Ainsi, ce saltimbanque costumé en garou que Ponsarrat a livré aux chiens, l’autre nuit, n’a été sacrifié que pour conforter dans l’esprit des invités que le maître du château est toujours un ogre imprévisible, un bourreau se délectant des cris de ses victimes. Il convenait de saisir l’occasion, d’improviser un esclandre dont les péripéties seraient rapportées mille et mille fois au hasard des beuveries de soldats. Malvers doit conforter sa légende, c’est elle qui lui permet de rester en place.
     
    Ponsarrat pare de justesse un coup de taille qui aurait pu lui briser la clavicule. Le choc encaissé par sa lame court douloureusement le long de ses articulations. Il n’a que quarante ans mais c’est déjà beaucoup pour un chef de guerre maintes fois blessé. Aujourd’hui, les troupes sont menées au combat par des chevaliers de dix-huit ans, fougueux mais ignorant l’art de la guerre, et dont le manque de réflexion engendre les pires catastrophes.
    Ponsarrat s’essouffle. Il espère que cela ne se voit pas… ne s’entend pas…
    Il n’aime pas les coups d’œil entendus échangés par ses adversaires. «  Hoc habet !   2  » pensent-ils, comme criaient jadis les spectateurs des jeux du cirque, à Rome, lorsqu’un gladiateur encaissait un coup mortel.
    Il s’oblige à continuer un moment encore, bien que le cœur lui semble près d’exploser entre les côtes. Sur un dernier coup de taille, il parvient à arracher l’épée de l’homme qui lui fait face. À moins… à moins que celui-ci, lassé de ces exercices, n’ait volontairement lâché l’arme. Comment savoir ?
    Un valet s’approche, tendant au baron un morceau de toile avec lequel il éponge sa sueur. Abandonnant son épée à l’écuyer, Ponsarrat s’éloigne en grognant sur le chemin de ronde.
    Il finit par s’immobiliser face à un créneau et feint d’observer la ligne

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