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La Fille de l’Archer

La Fille de l’Archer

Titel: La Fille de l’Archer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Serge Brussolo
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d’horizon, se donnant l’allure d’un stratège élaborant de fumeux plans de bataille.
     
    En fait, tout a commencé à cause de ce chien de Roland Boisrenard d’Estuviers, cette crapule insolente qui s’est permis une réflexion malséante lors des dernières joutes aimables organisées par le comte de Malvénac en l’honneur des treize ans de son fils. Les paroles de Boisrenard n’ont cessé, depuis, de hanter Ponsarrat.
    L’affront est survenu alors qu’on tirait au sort les paires de chevaliers destinés à s’affronter au tournoi. Lorsque Boisrenard a appris qu’il serait opposé à Ponsarrat, il s’est exclamé :
    — Quelle malchance ! Je ne tirerai nulle gloire à triompher d’un vieillard ! Ce n’est pas en désarçonnant Mathusalem qu’on conquiert le cœur des damoiselles ! Ne peut-on m’offrir un adversaire que les rhumatismes n’aient pas déjà à demi brisé ?
    Un valet s’est empressé de rapporter le mot à l’écuyer de Malvers, et, comme il se doit, le baron a surpris leurs chuchotements. Le venin de la boutade lui est allé droit au cœur. Boisrenard n’est déjà plus si jeune qu’il l’imagine ! Quel âge a donc ce bougre ? Près de vingt-sept années, pas moins. Croit-il vraiment que le temps l’épargnera ?
    Comble de malchance, la remarque a tellement perturbé Ponsarrat qu’il en a perdu ses moyens et a mordu la poussière lorsque sa lance a croisé celle de l’insolent.
    Les détails de la rencontre sont si intensément gravés dans sa mémoire qu’il peut les revivre avec une étonnante sensation de réalité. Il n’a qu’à fermer les yeux pour se voir mettant le pied à l’étrier, se hissant sur le cheval de bataille… Il entend le claquement des oriflammes et des gonfanons flottant au-dessus des tribunes. Pour l’occasion, il a bien sûr revêtu l’armure de joute, très différente de celle de guerre puisque nantie, sur le flanc droit, d’une targe 3 destinée à accueillir le coup de l’adversaire, et d’un crochet où l’on peut reposer la hampe de la lance, et donc diminuer son poids. Il fait tout cela mécaniquement, dans une espèce de brume mentale, tandis que les paroles de Boisrenard tourbillonnent dans son cerveau comme une nuée de corbeaux. Ne peut-on m’offrir un adversaire que les rhumatismes n’aient pas déjà à demi brisé ?
    Il sait qu’il a tort d’y penser. Dans une joute tout est affaire de concentration. La victoire dépend souvent d’un écart d’une dizaine de pouces, d’un coup de rein amorcé au moment ultime, et qui fait que la lance de l’adversaire vous effleure au lieu de vous percuter de plein fouet.
    Ponsarrat se sent à l’étroit dans sa cuirasse, il étouffe, il ne voit rien. Les fentes du heaume lui laissent deviner plus qu’apercevoir les barrières de la lice. Quelle idée stupide d’avoir justement choisi cette occasion pour étrenner son nouveau bassinet à bec de passereau ! Il éperonne le cheval avec un temps de retard et, incrédule, encaisse un coup effroyable qui l’arrache de sa selle et le projette dans la poussière où il demeure, assommé. Là, luttant désespérément pour se relever, il gigote dans le crottin, tel un énorme scarabée renversé sur le dos. Les valets doivent le traîner hors du champ clos, tandis que son armure se démantibule dans son sillage, achevant de le couvrir de ridicule. Il a plus que jamais l’air d’un insecte écrasé qui sème ses élytres.
    Quelle honte ! Quel camouflet !
    La dernière fois que Ponsarrat a été désarçonné dans un tournoi, il avait dix-huit ans. Depuis il a toujours triomphé.
    Revenu dans sa tente, il doit se soumettre aux manipulations maladroites d’un forgeron pour s’extraire de sa carapace de fer tordue.
     
    Le choc a été rude. Il lui en restera une douleur au bas des reins et à l’épaule gauche. Financièrement, cet échec ne lui a rien coûté. Il s’agissait d’un affrontement aimable entre seigneurs, donné pour la distraction des dames, et il n’a pas eu à céder son cheval et ses armes à Boisrenard. Celui-ci, grand vainqueur de la rencontre, a reçu la récompense symbolique des mains de la comtesse présidant la joute : une couronne de laurier, ou une branche de palme. Une bêtise sans importance que Ponsarrat, lui, se serait empressé de jeter dans le premier fossé.
    Comble d’impudence, Boisrenard a eu le toupet de lui dépêcher son barbier 4  ! Comme si Ponsarrat n’avait pas les

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