La Fille de l’Archer
moyens d’entretenir un mirre 5 !
Cette défaite a miné le baron. Sans doute parce que c’était la première fois qu’on voyait en lui un vieillard. La calomnie l’a cueilli à froid, le déstabilisant.
De ce jour, le doute s’est insinué dans son esprit et, à cent reprises, il a été sur le point de se rendre chez Boisrenard pour lui faire rendre gorge. Chaque fois, il a renoncé à la dernière minute, victime d’une honteuse hésitation. En d’autres temps, il n’aurait pas hésité à gifler le calomniateur pour le défier en combat singulier ; aujourd’hui toutefois il n’a pas la certitude de sortir vainqueur d’un tel affrontement et n’ose penser à l’humiliation qui serait la sienne si, par malheur, il venait à être vaincu. Une fois de plus.
Peu à peu, au fil des nuits sans sommeil, l’évidence s’est imposée : il lui faut assassiner Boisrenard, c’est à ce prix qu’il retrouvera la paix de l’âme et cessera de se ronger les sangs.
Il a d’abord pensé à confier cette mission à un homme de confiance… avant de s’apercevoir qu’il n’a justement confiance en personne !
N’ayant plus le choix, il a donc décidé de se charger lui-même de la besogne. Hélas ! ses trois tentatives se sont soldées par des échecs malheureux et n’ont abouti qu’à éveiller la méfiance de Boisrenard qui, depuis, vit en reclus, entouré d’une garde rapprochée.
Le vent qui fouette les créneaux fait frissonner le baron et le sort de son rêve éveillé.
Il était près de renoncer quand, arpentant les bois à la recherche de ces maudits comédiens, il a surpris La Murée et cette curieuse jouvencelle aux cheveux presque blancs, vêtue comme un archer, et qui parle le français avec l’accent des hommes du Nord. En écoutant la proposition de la sorcière, une idée lui est venue. Il a compris qu’il tenait enfin l’assassin idéal. Il a tellement d’ennemis ! Si elle fait preuve d’efficacité, la gamine ne manquera pas de travail !
Il ricane à cette pensée.
Malvers de Ponsarrat n’a pas peur du péché, ni de l’enfer. Il ne croit ni en l’un ni en l’autre. Il n’a aucun respect pour l’Église dont il connaît trop les manigances et la soif de pouvoir. Il sait que les prêtres se servent de la religion pour asservir les chevaliers qui leur font peur. Les fameuses croisades n’ont été qu’une ruse pour éloigner les guerriers en Terre Sainte, et permettre aux prélats de profiter de leur absence pour s’installer à la cour, où ils ont eu loisir d’assurer leur emprise sur le roi.
Ponsarrat n’a jamais été dupe de ces comploteurs en robe de bure qui mêlent avec une redoutable aisance politique et eau bénite.
Délaissant les remparts, il gagne ses appartements et fait appeler Mériadec, son intendant. Quand l’homme s’incline devant lui, le baron grogne :
— Parle-moi de La Murée, cette folle qui vit dans la forêt. Est-elle réellement sorcière ?
Mériadec est décontenancé. Il ne s’attendait pas à cette question.
— Je ne sais, Seigneur, bredouille-t-il. On dit qu’elle jouit du pouvoir de passer au travers des murailles et qu’aucune prison ne peut la retenir. Ses parents, de riches drapiers, l’avaient donnée au couvent des sœurs de Sainte-Olgonde pour racheter leurs péchés.
— Et qu’avaient-ils fait qui nécessitât une telle offrande ? ricane Ponsarrat.
— Leur fils unique avait contracté une mauvaise fièvre. Un prêtre les a convaincus que c’était là une punition divine parce qu’ils forniquaient trop souvent et y prenaient un plaisir coupable. Ils ont donc donné leur fille aux sœurs afin qu’elle soit recluse, c’est-à-dire emmurée vive…
— Je sais ce qu’est une recluse, gronde le baron.
— On dit qu’une fois la jouvencelle enfermée dans sa prison, le diable lui est apparu et lui a offert le pouvoir de s’échapper pourvu qu’elle lui cède son âme et son corps. Un beau matin, les sœurs ont trouvé la cellule vide, sans aucune trace d’effraction, mais toute gluante de foutre diabolique. Depuis, La Murée vit dans les bois. On raconte qu’elle aborde les promeneurs imprudents pour leur faire signer des pactes sataniques. Elle joue les sergents recruteurs pour son maître cornu.
— Quel genre de pactes ?
— Elle négocie des pouvoirs… l’habileté au combat, la possibilité de voir au travers des murs, ou de deviner l’emplacement des trésors
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