La Fille de l’Archer
au-dehors ; néanmoins une mince meurtrière éclaire sa chambre. Oh ! une fente étroite à travers laquelle se faufilerait à grand-peine la paume de la main… En t’observant je me suis dit qu’une flèche pourrait fort bien emprunter ce chemin. Une flèche ensorcelée qui serait capable de traquer son gibier jusque dans ses derniers retranchements ! Si tu me rendais ce service, je me montrerais reconnaissant. Pour commencer je renoncerais à faire pendre tes amis les baladins ; ensuite je te baillerais une fort belle somme en écus… Ce n’est pas une offre à négliger. Je sais où se cache Bézélios ; il me suffirait d’ordonner à mes gens d’aller l’y cueillir en compagnie de ses saltimbanques… toi y compris. J’ai droit de haute et basse justice sur ces terres, je puis vous torturer à ma guise et vous faire exécuter l’un après l’autre. Veux-tu vraiment en arriver là ? Que t’importe de tuer un seigneur, un homme que tu n’as même jamais vu ?
— Vous vous trompez. Il me sera nécessaire de connaître son visage si je veux que ma flèche l’atteigne. C’est une règle incontournable. Il m’est impossible de toucher un homme dont j’ignore la physionomie. Il n’y a guère que les animaux que je puis tuer sans les avoir vus au préalable, parce qu’ils se ressemblent tous.
Ponsarrat fronce les sourcils. Il n’avait pas prévu cela.
— Ce n’est pas un obstacle insurmontable, tranche-t-il. Je ferai peindre son image par un artiste qui a l’habitude de portraiturer les nobles de la région, et qui l’a approché à plusieurs reprises. Ces gens-là sont physionomistes et ont bonne mémoire. Je prétendrai vouloir faire cadeau du panneau peinturluré à l’intéressé, en gage de réconciliation. J’ai sous la main l’artisan adéquat, un Flamand formé à Bruges, qui connaît les astuces des maîtres de la couleur.
Il sourit, satisfait de ce subterfuge.
Wallah sait qu’elle n’a guère le choix. Afin de se donner une contenance, elle s’accroupit et arrache la flèche qui a transpercé le sanglier. Puis elle entreprend de découper la cuisse.
— Il ne me faudra que trois jours, lâche le baron, le temps pour mon homme de fignoler le portrait. Donnons-nous rendez-vous ici même, à l’aube. Nous devrons chevaucher toute la journée pour atteindre l’endroit où tu devras déployer tes talents. Je considère que tu acceptes le traité, mais si tu me fais défaut, ou si tu rates la cible, je serai sans pitié.
Sur ce, il récupère son épieu, tourne les talons et s’enfonce dans les broussailles, en homme qui a l’habitude d’être obéi sans discussion. Rêveuse, Wallah se surprend à penser qu’il n’est guère prudent.
« Qu’est-ce qui m’empêcherait, songe-t-elle, de fermer les yeux et de le prendre pour cible ? Croit-il que je n’oserais pas ? Est-il si imbu de sa personne qu’il s’imagine intouchable ? »
Non, sans doute, mais Ponsarrat a foi en l’argent. Il estime que tout le monde est comme lui, et que la promesse d’une belle récompense lui garantit l’immunité.
La jeune fille s’interroge. Éprouvera-t-elle des remords si elle lui obéit ? Par les dieux, non ! La mort est chose si commune en ces temps troublés. On la côtoie à chaque instant. Tout le monde est en guerre contre tout le monde. La première moitié du royaume de France n’aspire qu’à exterminer la seconde moitié ! La seule chose qui compte c’est de survivre. En outre, elle déteste les nobles. En y réfléchissant elle s’aperçoit qu’elle veut venger la fin atroce de l’homme tombé de la lune. Quelqu’un doit payer. Si ce n’est Ponsarrat, ce sera son semblable. Qu’importe, ils se valent tous ! Le sang d’un baron pour laver celui du singe sacrifié, cela paraît équitable. Le tour de Ponsarrat viendra, il suffit d’avoir de la patience.
Elle charge le cuissot sanglant sur son épaule et rebrousse chemin. Elle éprouve un certain amusement à l’idée que la survie de la troupe dépend d’elle, à présent. Elle, la souillon, la bonne à rien. C’est drôle, non ?
Lorsqu’elle débouche dans la clairière, Bézélios la dévisage d’un œil affolé, comme s’il ne la reconnaissait plus. A-t-il perçu le changement qui s’est opéré en elle ? Ce n’est pas impossible. Il fixe le cuissot de sanglier avec tant d’effroi que Wallah a soudain l’impression qu’il s’agit d’un membre humain. Bizarrement, cela ne
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