La Fille de l’Archer
cible que tu devras donner à ta flèche. À présent suis-moi, nous chevaucherons jusqu’au crépuscule.
Wallah lui emboîte le pas. Les destriers broutent au pied d’un arbre. Ponsarrat saisit deux mantels à capuchon posés sur une souche. Il enfile le plus large, tend l’autre à la jeune fille.
— Passe cela, ordonne-t-il. Inutile de voyager à visage découvert. Moins on nous remarquera, mieux ce sera. Personne n’est au courant de ce que nous allons faire. Cela doit rester notre secret. Si tout se passe comme je l’espère, j’aurai de nouveau recours à tes services dans l’avenir. Tu peux considérer que ta fortune est faite… à condition que tu tiennes ta langue.
Ils chevauchent une bonne partie du jour, ne s’arrêtant que pour laisser souffler les montures. Lors de ces pauses, ils se côtoient en silence, Ponsarrat se tenant à distance de la jeune fille. Celle-ci ne parvient pas à déterminer s’il a peur d’elle ou s’il juge son voisinage indigne d’un homme de son rang.
Peu lui importe au demeurant. Elle occupe son temps à reconstituer, sous ses paupières closes, l’image de l’homme qu’elle doit tuer. Si le portrait qu’elle s’en trace n’est point parfait, la flèche s’égarera et, à bout de forces, tombera sur le sol sans avoir touché son but. Si elle échoue, il est probable que Ponsarrat se débarrassera d’elle sans attendre puisqu’elle aura été le témoin inutile et encombrant de ses manigances. Un coup de dague fera l’affaire…
Elle est donc condamnée à réussir.
À la mi-journée, ils partagent un repas de cavalier. Quelques tranches de viande boucanée, du pain, une pomme. Puis ils repartent, tantôt traversant des champs, des plaines, tantôt se faufilant au cœur de forêts épaisses. Il est manifeste que Ponsarrat évite les routes fréquentées par les marchands.
Wallah, qui n’a guère l’habitude des longues chevauchées, souffre et peine à se maintenir en selle. Enfin, le baron descend de sa monture et lui signifie qu’à partir de cet endroit ils continueront à pied.
— Le château est là-bas, ajoute-t-il en baissant la voix, derrière ce rideau d’arbres. Je vais attacher les destriers dans ce bosquet. Une fois ta flèche tirée, il faudra se replier en hâte car l’alerte sera aussitôt donnée. Les gardes abaisseront le pont-levis et lâcheront une meute de dogues à travers la campagne. Des bêtes énormes, des chiens dressés à la guerre, qu’on utilise lors des jacqueries pour déchiqueter les paysans. Ils auront tôt fait de renifler nos traces. C’est pour cette raison qu’il faudra sauter en selle et filer dans la nuit à bride abattue. Tu as compris ?
Wallah hoche la tête. Elle sait qu’elle n’est pas bonne cavalière et donc qu’elle représente une menace pour le baron. Si on la capturait, elle serait soumise à la question et livrerait le nom de son employeur. Ponsarrat ne peut courir un tel risque. Wallah en déduit qu’il se débarrassera d’elle dès qu’il aura la certitude que son ennemi est bien mort. Elle devra se montrer prudente et profiter de l’obscurité pour lui fausser compagnie. Toutefois en aura-t-elle le temps ? Le baron est homme de guerre, accoutumé aux tueries. Après tant de batailles, s’il est toujours en vie, c’est parce qu’il n’hésite jamais à frapper le premier.
À présent ils progressent avec mille précautions au cœur des broussailles. Ponsarrat scrute l’herbe car il redoute la présence de pièges à loups ou de fosses à ours. Il ne cesse de le répéter :
— L’homme qui doit mourir ce soir est méfiant depuis qu’il a échappé à plusieurs tentatives d’assassinat.
Lorsqu’ils atteignent la lisière, ils poursuivent en rampant. Ils sont maintenant sur le talus couronné de ronces qui domine les douves. La muraille grise du château s’étire devant eux, pont relevé. Sur les remparts, des sentinelles patrouillent, la lance à l’épaule. Le castel a été mis en défense en prévision du surgissement d’un ennemi invisible. Au-delà des créneaux pointe le donjon percé d’étroites meurtrières, la plupart obstruées par un emplâtre de tourbe sèche.
— C’est là qu’il vit, chuchote Ponsarrat. Cloîtré comme un ermite. Il ne sort guère qu’une fois par jour, pour une courte promenade, mais il est alors couvert d’acier, vêtu du blanc harnois comme s’il s’apprêtait à partir en guerre, et aucune flèche, même
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