La Fille de l’Archer
elles attrapent une ribambelle d’enfants qu’elles doivent mettre au monde à la lisière des champs de bataille, dans les pires conditions. Les hommes les baisent mais ne les aiment point, et les épousent encore moins ! Quant aux capitaines, quand ils se retirent, auréolés de gloire, les poches lourdes de butin, c’est pour se marier avec une pucelle bien gourdasse dont les parents possèdent un gentil commerce de drap ou de vin qui lui tombera tôt ou tard en héritage. Peut-on le leur reprocher ? Qui a envie d’avoir pour femme une putain au ventre plus béant qu’un porche d’église, et encombrée de six mioches engendrés par tout autant de pères ?
Allons ! il faut réfléchir avant de parler ! Une armée en campagne ce n’est pas une aventure plaisante à vivre.
Mariotte et Mahaut se sont mises à bouder. Depuis quelque temps elles affichent des airs d’indépendance qui viennent de ce qu’elles ramènent davantage d’argent que Javotte.
— Le mauvais œil est sur la compagnie ! s’est entêtée Mahaut. C’est la faute à Wallah ! C’te guenon à cheveux blancs ! Tant qu’elle sera là, tout ira de travers. Faut que Bézélios la chasse.
Javotte n’est point dupe, elle devine que les deux pestes ont reporté sur Wallah la haine qu’elles nourrissaient envers Gunar, qui avait tant de fois repoussé leurs avances. Elles détestaient le grand Suédois avec l’énergie farouche des amoureuses éconduites, allant même jusqu’à tenter de s’attirer ses faveurs par des envoûtements naïfs.
— Un homme qui refuse de baiser, crachait Mariotte, ça n’existe pas, sauf chez les moines, et encore ! On en a vu plus d’un nous courir après, la soutane entre les dents !
— C’est parce qu’il grimpe sa fille ! renchérissait Mahaut. Ces deux-là couchent ensemble, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Ça se pratique sans doute chez eux, quand ils se retrouvent bloqués par la neige, dans leur pays de sauvages, et qu’ils n’ont pas d’autre femme sous la main !
Javotte se réveille doucement, le cœur étreint par l’appréhension. Elle ne sait de quoi sera faite la journée qui s’annonce. Elle a peur.
*
Wallah prend conscience que ses récentes mésaventures endorment la souffrance engendrée par la disparition du père. Ce n’est point mauvaise chose. Mieux vaut avoir l’esprit occupé. La peine rend vulnérable, et elle ne peut s’octroyer ce luxe, surtout avec ce charognard de Bézélios perché sur son épaule. Elle pleurera plus tard, lorsqu’elle sera hors de danger. Maintenant qu’elle a symboliquement revêtu la berserk – la chemise en peau d’ours –, elle ne doit plus penser qu’à la guerre.
Elle attend avec impatience de revoir le baron. C’est la première fois de sa courte existence qu’on la considère comme une personne d’importance. Elle en éprouve une griserie qui lui tourne la tête. Hier elle était une souillon dont on se préparait à vendre le cul pour trois pièces de cuivre, aujourd’hui elle est indispensable aux manigances d’un puissant seigneur… Sic transit gloria mundi.
Bézélios a perdu de son pouvoir de nuisance, ce n’est plus qu’un gnome méchant qu’elle pourrait écraser sous son talon. Elle s’occupera de lui s’il commet l’erreur de se montrer trop arrogant.
*
L’aube du rendez-vous se lève enfin. Wallah gagne la clairière où achève de pourrir la carcasse du sanglier, ou plutôt ce qu’en ont laissé les bêtes de la forêt. Ponsarrat, qui se tenait en embuscade depuis une heure, se montre aussitôt, encombré d’un paquet rectangulaire. Un panneau de bois enveloppé d’une toile bise, d’où monte une odeur huileuse.
— Tiens, grogne-t-il, fais attention, ce n’est pas tout à fait sec. Ce bougre de peintre a travaillé deux jours et deux nuits durant. Le trait est ressemblant, cela devrait suffire.
Wallah ôte la toile, découvrant une plaque de frêne sur laquelle s’étire l’image d’un seigneur à la figure longue et hautaine, tondu loin au-dessus des oreilles à la mode des chevaliers d’aujourd’hui. Elle a soin de ne poser aucune question. Elle ne veut rien savoir du « gibier ». D’ailleurs, Ponsarrat ne lui répondrait pas.
— C’est assez réussi, lâche ce dernier. L’imagier l’a brossé d’après ses souvenirs ; je dois avouer que ce barbouilleur connaît son affaire. Grave cette face de carême dans ta mémoire, car c’est la
Weitere Kostenlose Bücher