La Fille de l’Archer
pont-levis.
La jeune fille et le baron s’enfoncent dans la forêt en courant, éclairés par la lueur du brasier. Des animaux leur emboîtent le pas, les bousculant. Biches, sangliers, renards, tous fuient le feu qui s’étend avec une incroyable rapidité. Wallah songe avec soulagement que les molosses du château hésiteront à franchir cette ligne de flammes.
À cet instant elle se prend le pied dans une racine et tombe. Ponsarrat n’esquisse pas un geste pour l’aider. Elle se relève, essaye de rattraper son retard. Une mauvaise surprise l’attend à la lisière de la forêt. Son cheval, terrifié par l’odeur de fumée, s’est tellement débattu qu’il a fini par rompre sa longe. Il galope au loin sur la plaine. Le baron est déjà en selle. Il semble hésiter. Bien sûr, il pourrait éperonner sa monture et abandonner Wallah, mais ce serait laisser un témoin gênant derrière lui.
« Il va me tuer…, se dit la jeune fille. Il ne peut pas faire autrement. »
Elle est pétrifiée. Puis, soudain, Ponsarrat lui tend la main pour l’aider à monter en croupe. Elle saisit son poignet, se sent soulevée dans les airs par un bras habitué à manier la hache et l’épée.
« Ne sois pas stupide, lui souffle la voix de la raison. Il n’a pas agi par bonté d’âme. Il savait que, s’il te tournait le dos, tu lui décocherais une flèche entre les omoplates. Il n’avait pas le choix. Il ne pouvait te laisser sur place. »
Le cheval s’élance dans la nuit, galopant flanc contre flanc avec les bêtes sorties du bois. Wallah a noué ses bras autour de la taille du baron car les secousses menacent de la désarçonner. Elle ne sait pas conserver son assiette quand le destrier prend son pas de charge. Elle commence à croire qu’ils vont s’en tirer. Hélas, elle perçoit bientôt les aboiements de la meute lancée à leurs trousses. La barrière de feu n’a pas arrêté tous les molosses. Certains ont réussi à sauter par-dessus les flammes. L’imminence du carnage les excite. Deux d’entre eux, incapables de se contenir plus longtemps, s’en prennent aux chevreuils, ou engagent le combat avec un sanglier.
Alourdi par sa double charge, le cheval se fatigue. Le terrain est lourd, boueux, il pourrait se prendre le sabot dans une fondrière et rouler cul par-dessus tête.
Les molosses se rapprochent, l’un d’eux essaie de mordre les jarrets du destrier, puis de passer sous son ventre pour lui arracher les génitoires. Ponsarrat, en guerrier accoutumé à décapiter la piétaille, tire son épée et sectionne la caboche du chien dont le corps continue, deux secondes encore, sur sa lancée tandis que le sang jaillit du cou tranché en une verticale d’un rouge éclatant.
Peu à peu, la meute perd du terrain. Quand Wallah se retourne une dernière fois, c’est pour voir la forêt embrasée qui, telle une auréole diabolique, enveloppe les dogues fourbus, immobilisés au milieu de la plaine, langue pendante, cerbères dépités figés au seuil des territoires infernaux.
Leur monture se met d’elle-même au pas, un peu plus tard, épuisée et couverte d’écume. Wallah et Ponsarrat mettent pied à terre. Le chevalier reste aux aguets, craignant une éventuelle patrouille. La forêt en feu illumine le ciel nocturne. Wallah s’étonne de la beauté du spectacle.
— Ils n’auront pas le temps de s’occuper de nous, lâche le baron. L’incendie menace le château. Je comptais là-dessus, mais ne traînons pas. Dès l’aube, ils reprendront leurs esprits. Il faut que, d’ici là, nous soyons sortis des terres de la fripouille que tu viens d’expédier ad patres .
Ils franchissent cette frontière dans le brouillard du petit matin, tenant par la bride le cheval qui boite. Nul ne leur a donné la chasse.
— Je n’ai qu’une parole, déclare alors Ponsarrat en sortant une bourse des fontes de sa selle. Voilà tes gages. Tes amis saltimbanques peuvent quitter la forêt pour aller se faire pendre ailleurs. Quant à toi, il est possible qu’un jour prochain j’aie de nouveau recours à tes services. Ne t’étonne donc point si un messager vient te chercher en mon nom. Suis-le alors. Et n’oublie pas ton arc.
8
Les saltimbanques n’ont pas levé le camp. Le retour de Wallah est accueilli avec stupeur. La mère Javotte ne se prive pas de déclarer qu’on la croyait morte, mise en pièces par un ours. Elle dit cela tranquillement, pour bien montrer qu’elle n’en
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