La Fille de l’Archer
Bézélios. Si je dois le rencontrer, j’aimerais en apprendre davantage sur lui.
Coquenpot grimace.
— C’est… c’est très compliqué, soupire-t-il. T’en parlerais-je toute la nuit que tu ne connaîtrais pas le dixième de ce qu’il faut savoir sur l’homme. Tout a commencé avec la défaite d’Azincourt, le 24 octobre 1415.
1 - Une heure entre deux coups, environ.
2 - Un boulet pesait en moyenne 130 kg et se déplaçait à une vitesse de 200 km/h.
3 - Sorte de catapulte dont le contrepoids constitué de deux énormes sacs de terre évoque une paire de testicules.
4 - Hérétiques cathares.
11
Et Coquenpot se met à parler d’une voix morne, l’œil perdu dans le vague.
— Azincourt a été le tombeau de la chevalerie française, une boucherie, le triomphe de la bêtise et de la fatuité. Et pourtant Armagnacs et Bourguignons avaient fait taire leurs querelles pour l’occasion. Tous ces beaux seigneurs étaient parvenus à l’union sacrée contre l’Anglais, un miracle ! Nous avons marché au combat sûrs d’une victoire acquise d’avance. Nous étions si nombreux, si resplendissants dans nos armures neuves, la plupart achetées à prix d’or pour la circonstance. Une marée de fer roulant en vagues serrées à travers les plaines. Invincibles et déjà empêtrés dans nos bannières, grisés de la gloire à venir. Personne n’avait le moindre doute quant à l’issue de la bataille. L’ennemi ? Pouah ! une bande de paysans anglais crottés, rongés par la famine et la colique, qui, disait-on, devraient cesser de se battre pour courir baisser culotte et lâcher leur étron au beau milieu du fracas des armes. Ah ! comme cela nous faisait rire !
« Le soir, quand nous avons mis pied à terre, nos chefs se sont rassemblés pour discuter… Oh ! il n’était nullement question de stratégie, de plan de bataille, non… On débattait seulement de qui aurait l’honneur d’occuper le premier rang lors de la charge, et par conséquent en tirerait la plus grande gloire. Pour tous ces fiers chevaliers, il était établi d’avance que l’Anglais serait vaincu, laminé. Le tout était de le faire avec élégance : il n’était pas question de triompher trop facilement car on n’en aurait tiré aucun prestige. C’est pour cette raison qu’on décida de ne pas attendre les renforts et de ne point utiliser l’artillerie. Pensez donc ! il fallait laisser à ces pauvres Anglais une chance de perdre avec honneur. Nous étions là, comme des géants s’apprêtant à écraser sous leur talon une nichée de souriceaux. Le maître mot était de rester chevaleresque ! La belle illusion !
« Et puis il s’est mis à pleuvoir dru ; la plaine s’est changée en marécage. Les Français ont dormi sous cette pluie battante tandis que l’ennemi, lui, trouvait refuge dans les granges et les fermes du village qu’il avait investies. Le lendemain, notre magnifique armée s’est mise en marche, bannières au vent, armures astiquées… Les Anglais, eux, ont campé sur leurs positions, derrière leurs pieux taillés en pointe, nous laissant avancer… avancer dans un bourbier où les chevaux ont commencé à s’enliser, où la piétaille enfonçait jusqu’au genou. Pour aggraver le tout, nous avions le soleil dans les yeux. Ce qui a suivi est connu… Les archers godons ont fait pleuvoir sur nos têtes un ouragan de flèches. Les chevaux de la première ligne se sont abattus, foudroyés ; ceux qui suivaient ont culbuté par-dessus leurs carcasses. Un chaos effroyable où tout le monde gênait tout le monde, où l’on ne pouvait tirer l’épée sans éborgner son voisin. Je me rappelle avoir été renversé par un destrier fou de douleur, une flèche dans l’œil, qui galopait à contre-courant. Et cette boue… Partout cette boue où l’on pataugeait sans parvenir à se redresser, écrasé par le poids des armures. Nous étions lourds, aveugles, malhabiles, nous entre-tuant parfois par manque de visibilité ! Nous luttions contre une bande de paysans anglais qui virevoltaient, les pieds nus, armés de massues de plomb qu’ils abattaient sur nos casques, broyant le métal et les cervelles. Je les revois souvent, en rêve, sautillant tels des lutins malfaisants, et je comprends ce que ressent un sanglier harcelé par des chiens.
« Bientôt, nos mercenaires, devinant la partie perdue, ont pris la fuite… Je me suis battu dos à dos avec Ornan de Bregannog, et j’en
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