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La Fille de l’Archer

La Fille de l’Archer

Titel: La Fille de l’Archer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Serge Brussolo
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archevêques avaient pris les armes ! Seule l’idée que nous allions bientôt rentrer chez nous me permettait de tenir.
    « Et puis la chose s’est produite. Ornan a mis le siège devant l’un de leurs temples – je ne sais comment ils nomment cela, dans leur langue. Comme le saint homme essayait de lui barrer la route, il l’a percé d’un coup de lance. Avant de mourir, le marabout l’a maudit. Il a prophétisé que les péchés commis par Ornan s’additionneraient pour donner naissance à un djinn , un démon qui s’attacherait à ses pas et finirait par le dévorer, le faisant périr dans les pires souffrances en lui arrachant les membres. Sur l’instant, nous n’y avons pas prêté attention. Nous avions l’habitude des injures, des imprécations. Ce n’était après tout qu’un pillage de plus.
    « Au bout de trois jours l’attitude d’Ornan a changé. Lui qui, jusque-là, semblait absent, a commencé à donner des signes de nervosité. Il se levait la nuit, l’épée au poing, et quittait la tente pour scruter le désert. Quand je lui demandais la raison d’une telle attitude, il répondait qu’une bête rôdait aux alentours, une hyène, un chacal… Plus tard, il a parlé d’un lion. Ça n’avait rien d’impossible ; ces contrées sont sauvages et l’on y fait de mauvaises rencontres. Pour lui rendre service, je me suis imposé des tours de garde, j’ai joué les sentinelles… C’était avant que je ne perde ma jambe. Je n’aimais pas le voir dans cet état, d’une nervosité de pucelle. Chaque fois qu’il essayait de dormir, des cauchemars le tourmentaient. Deux heures de sommeil, c’est peu lorsqu’on doit chevaucher tout le jour.
    « Et puis j’ai été piqué par cette vermine de scorpion, je suis resté une semaine entre la vie et la mort. Ornan m’a amputé d’un coup de hache ; un marabout a cicatrisé le moignon en le trempant dans l’huile bouillante. Pour empêcher la pourriture, on me badigeonnait de fromage moisi 2 . Quand j’ai émergé des fièvres, il était trop tard, Ornan était la proie d’une étrange folie. Il s’était mis en tête qu’un lion le suivait où qu’il aille. C’était certes encore vraisemblable lorsque nous traversions le désert, mais là, nous vivions en pleine ville… L’une de ces cités blanches, aux ruelles étroites, encombrées de maisons à terrasses. La présence d’un lion au milieu d’une telle foule était impossible. J’étais très faible ; je n’avais guère la force de le convaincre du contraire. Il me traînait sur la terrasse à la nuit tombée, afin que je monte la garde en sa compagnie. Il répétait : “Réveille-moi si je m’endors. Il n’attend que ça pour m’attaquer. Écoute bien, tu l’entendras feuler… Et puis il y a son odeur. Cette puanteur de viande pourrie qui sort de sa gueule.”
    « En réalité, c’était lui qui puait. Il ne quittait plus sa cotte de mailles ni ses armes, ne se rendait plus aux étuves, au hammam. L’Orient nous avait enseigné au moins cela : la propreté. Les Maures avaient la hantise de la souillure, de la saleté. Pour ne point être déconsidérés, nous avions dû apprendre leurs usages, mais Ornan semblait les avoir oubliés. Il restait toute la nuit vêtu en guerre, la main sur le pommeau de l’épée, là où étaient cachées les reliques de sa famille . Il guettait le lion. Je dois avouer qu’à force de scruter les ténèbres, il me semblait le voir, moi aussi. Tout au moins une forme menaçante, se déplaçant à quatre pattes… mais j’avais encore la fièvre et j’étais sujet aux hallucinations.
    « À cause de l’odeur de crasse répandue par Ornan, la vieille légende est ressortie des oubliettes : il était mort à Azincourt et ne tenait debout que grâce à un sortilège diabolique, mais sa puanteur trahissait sa véritable nature de mort vivant. La chaleur orientale avivait le processus de décomposition. Cette fable grotesque a contribué à notre mise à l’écart. Ornan s’en moquait, il ne pensait qu’au lion…
    « Enfin, le jour du départ est arrivé. Nous avons embarqué avec notre butin. Si aucune tempête ne nous envoyait par le fond, nous aurions de quoi vivre sans souci pour le restant de nos jours. La croisade avait bien payé.
    « J’allais mieux, je clopinais sur une béquille, mais je tenais debout. Je me suis vite rendu compte qu’Ornan passait beaucoup de temps sur la dunette arrière du bâtiment,

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