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La Fille de l’Archer

La Fille de l’Archer

Titel: La Fille de l’Archer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Serge Brussolo
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garde grande fierté. Par le Christ ! je crois que je n’ai jamais autant tué que ce jour-là, dans cet horrible gâchis où ceux qui auraient dû nous commander étaient morts les premiers, par gloriole, nous laissant sans guides, abandonnés à nous-mêmes…
    Coquenpot se tait, à bout de souffle. Il se verse un autre gobelet de vin.
    — Beaucoup des nôtres se sont rendus, reprend-il. Plutôt que de mourir, ils préféraient acquitter une rançon. Les sots n’avaient pas prévu que le roi d’Angleterre les ferait égorger sur-le-champ, en manière de représailles.
    « Ce fut une horrible journée où l’on pataugeait dans les tripes et la merde. Car c’est là l’odeur qui flotte sur tous les champs de bataille du monde, quand la peur et la mort liquéfient les entrailles. Ornan voulait mourir l’épée au poing, je l’ai forcé à battre en retraite. Périr dans ce merderon n’aurait rien eu d’héroïque. Je me rappelle l’avoir tiré en arrière, mes doigts ne parvenaient pas à assurer leur prise sur son armure couverte de sang. Nous avons réussi à rejoindre l’arrière-garde. Je l’ai fait asseoir dans sa tente pour déboucler sa cuirasse bosselée, mais il m’a repoussé. Il était comme fou, il ne me reconnaissait plus. Je lui ai arraché l’épée des mains. J’ai essayé de relever la visière de son heaume qui était coincée. Il avait insisté pour porter ce stupide mézail à bec de passereau qui était à la mode mais réduisait horriblement le champ de vision… Je ne sais pourquoi, j’avais la conviction qu’il était gravement blessé, que les massues de plomb des godons lui avaient broyé les côtes, mis la cervelle à nu.
    « Aidé de son écuyer, je l’ai chargé sur une charrette puis nous avons fui cet enfer sans demander notre reste, honteux, vaincus. Il a fallu quérir un forgeron avec ses outils et son enclume pour déverrouiller l’armure où Ornan était retenu prisonnier. Curieusement, à part une coupure au sourcil droit, il était intact, le visage d’une blancheur de cierge.
    « De ce jour il n’a plus été le même. Je ne l’ai plus jamais entendu rire ou plaisanter. Il a cessé de lutiner les filles, de trousser les servantes d’auberge, d’aimer le vin et les viandes poivrées. Il est devenu l’ombre de lui-même… Une sorte de fantôme. Cette transformation a fait dire à certains qu’il était mort à Azincourt. Réellement mort , mais qu’un sortilège démoniaque lui conférait une apparence de vie. On a commencé à raconter que le sang ne coulait plus dans ses veines, que sa chair était glacée. On a prétendu que, lors d’une chasse, un chien qui l’avait mordu à la main était tombé raide empoisonné… et mille autres fadaises. Ornan est un héros de légende, un grand personnage, et jusque-là les damoiselles se battaient pour partager sa couche, mais de ce jour elles l’ont évité. C’est en grande partie pour échapper à cette cabale que nous nous sommes croisés 1 . J’y suis pour beaucoup, mais je voulais éviter que l’Église ne s’intéresse de trop près à Ornan.
    « C’était la Reconquista , il n’était question que de secourir les enclaves chrétiennes harcelées par les Sarrasins. Nous avons traversé la mer pour venir en aide aux missions régulièrement attaquées par les tribus du désert. Là-bas, au milieu des sables et des palmeraies, Ornan a paru reprendre une apparence de vie. J’admets que nous nous sommes parfois comportés en pillards, sous couvert de représailles, mais nous n’étions pas les seuls. La plupart des chevaliers agissaient de même. Le butin, c’était tout ce qui comptait. Les cités mises à sac, l’or, les bijoux, les pierres précieuses. Tout le monde était venu là pour amasser des richesses impossibles à se procurer ailleurs. Les palais de ces Sarrasins vous coupaient le souffle. Une telle magnificence nous éblouissait. Nos rois, en comparaison, faisaient figure de paysans.
    « Nous nous sommes conduits en barbares… Massacrant, pillant, ne laissant rien derrière nous. Ornan n’en éprouvait nul dégoût. Il allait tel un somnambule. Je ne suis pas d’une nature sensible, mais j’avoue que ces tueries commençaient à me donner des cauchemars. Je suis avant tout ingénieur militaire, pas guerrier. Mon domaine c’est l’invention, la construction, pas le corps à corps, même si je m’y suis retrouvé mêlé en certaines occasions. À Azincourt, même les

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