La Fille de l’Archer
foudroyé. Elle y voit une mesure de clémence. De cette façon, le malheureux ne finira pas sur un bûcher après avoir enduré mille tortures. Elle suppose que Bézélios proposera de l’empailler afin que le baron puisse le promener de village en village et prouver son innocence.
Oui, une mort foudroyante, c’est tout ce qu’elle peut lui offrir, mais en ces temps de cruauté c’est déjà un sort enviable.
Ayant raflé aux cuisines une gargoulette d’eau et un peu de nourriture, elle part prendre l’affût dans les rochers. Elle s’enveloppe dans une toile bise, couleur de poussière, et se recroqueville entre les pierres. Grâce à ce stratagème elle se confond avec le paysage dévasté. Elle attend que Mariotte et Mahaut paraissent, le panier de linge sous le bras. Elles arrivent enfin, gloussant, s’invectivant comme si elles jouaient une sottie sur la place du marché aux herbes. Tout sonne faux dans leur comportement : la voix, les attitudes outrées. Jusqu’à leur tenue débraillée. Il ne fait pas si chaud qu’on doive se promener les épaules nues, la chemise déboutonnée jusqu’à la naissance des seins. Bien sûr, pour parfaire leur déguisement, elles se sont aspergées mutuellement au puits, si bien que l’étoffe leur colle aux cuisses et au ventre.
Ce sont des filles dodues à peau blanche, de celles que les hommes aiment contempler. Pour tordre et étendre le linge, elles prennent des poses de lavandières de fabliau grivois. Elle ne sait pourquoi, mais Wallah imagine mal Ornan de Bregannog cédant à ces attraits. Trop de vulgarité sans doute. Un racolage évident. Mais elle s’égare ! Cette mascarade ne s’adresse pas au baron… On la donne pour déloger l’homme-gargouille. Bien sûr, si Mariotte et Mahaut le savaient, elles feraient preuve de moins d’entrain !
Cette idée lui arrache un petit ricanement. Pour l’heure, elle attend, immobile. Deux flèches plantées dans le sol à portée de main. Elle sait qu’elle pourra les décocher avant que son cœur n’ait eu le temps de battre cinq fois. Elle fera mouche, c’est sûr… mais encore faut-il que le monstre se présente sous le bon angle. Deux flèches dans le cul ne lui feront pas grand mal.
La « représentation » traîne en longueur. Le chemin de ronde reste vide. Ornan de Bregannog n’a pas daigné se montrer, à moins qu’indisposé par les piaillements des deux oies il ait écourté sa promenade.
Les filles de Javotte ne savent que faire. Le linge est étendu, elles ont décliné toutes les poses aguichantes qui fonctionnent d’ordinaire sur leurs clients. À moins de recommencer… mais cela paraîtrait peu naturel. L’oreille basse, elles se résolvent à rentrer.
Wallah se prépare à les suivre quand, tout à coup, elle se fige. Elle sent qu’elle n’est plus seule… La pierraille est habitée par une présence invisible. Quelque chose est là, qu’elle ne parvient pas à localiser. Lentement, elle encoche la première flèche en retenant son souffle.
Là-bas, Mariotte et Mahaut franchissent le pont et s’engagent sous la poterne, elles ne risquent plus rien. Il n’en va pas de même pour Wallah. La « présence » se rapproche. Les sens aiguisés par la peur, la jeune fille perçoit une odeur de sueur et de crasse qu’on ne peut confondre avec les émanations sui generis d’un animal sauvage. Elle a la certitude qu’il s’agit bien d’un être humain. Où est-il ? À l’entrée d’une crevasse ? À plat ventre dans une faille ? Elle a beau tourner la tête en tous sens, elle ne le voit pas.
Ainsi il est venu… Bézélios ne s’était pas trompé. Le monstre n’a pu résister au spectacle des filles offertes. On sait maintenant ce qui est arrivé aux servantes disparues. Ornan de Bregannog n’y est pour rien, le coupable c’est l’autre… l’homme-gargouille de la montagne.
Soudain, Wallah est de nouveau seule. Le « dévoreur » s’est envolé. Sans doute est-il retourné dans sa cachette par quelque passage naturel ignoré du baron.
La jeune fille s’aperçoit qu’elle tremble de la tête aux pieds et que la sueur a trempé ses vêtements.
« Il savait que j’étais là, pense-t-elle, il a choisi de ne pas m’attaquer. Pourquoi ? Parce que je ne constituais pas une proie intéressante ? »
Oui, c’est cela : hypnotisé par la chair grasse des filles de Javotte, il n’a prêté aucune attention à ce mince androgyne tapi dans les rochers tel
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