La Fille de l’Archer
un lézard.
Empoignant l’arc, elle sort de sa cachette et prend la direction du château en s’appliquant à ne pas courir. Elle a eu peur, elle ne cherche point à se le dissimuler. L’espace d’un instant elle a eu l’impression de côtoyer une entité dévastatrice et invincible. Une créature mi-homme mi-démon animée par la passion du carnage.
Une fois dans la cour, elle se penche sur le puits et s’asperge d’eau glacée.
Bézélios se précipite, mécontent.
— Alors ? grogne-t-il.
— Il est venu, avoue l’adolescente. Pas assez longtemps. Je n’ai pas eu le temps de le voir. Mais il était là. Il est fort… méchant. Ce ne sera pas facile.
— Comment peux-tu le savoir puisque tu ne l’as pas vu ! se moque le forain. Tant pis, on recommencera demain. L’envie finira par devenir trop forte ; quand il ne pourra plus la juguler, il sortira de son trou.
« Et nous tuera tous », songe Wallah, étonnée de son soudain défaitisme.
« Le mal, souffle une voix inconnue dans sa tête. Le mal à l’état pur. »
*
Dans le courant de l’après-midi on procède à l’ensevelissement de Gros-Nez dont la dépouille reposait dans l’une des cryptes du château. Faute de bois, il n’a pas été possible de lui tailler un cercueil, aussi l’enterre-t-on cousu dans un suaire, à la mode des gens du voyage. Enterrer n’est pas le terme qui convient, car, à flanc de montagne, il ne faut pas espérer creuser la moindre fosse. Le sol n’est qu’un conglomérat de caillasse. Il a fallu dénicher une crevasse naturelle, y descendre le corps puis le recouvrir de pierres. Ni Ornan de Bregannog ni Gérault n’ont assisté à la cérémonie. On les dirait terrifiés à l’idée de quitter l’enceinte du château.
Javotte y va de sa larme, Mariotte et Mahaut s’ennuient. Tout le monde a hâte que Bézélios prononce les phrases rituelles qui saluent le départ des parias, de ceux à qui l’on dénie le droit de reposer en terre consacrée. Le maître forain s’exécute, l’œil froid. Ce n’est pas le premier compagnon qu’il expédie à la va-vite. Ni le dernier, probablement.
Tandis que le crépuscule descend sur la montagne, on regagne le manoir. Le baron les attend dans la cour. Trois gros sacs crasseux gisent sur les pavés.
— Gérault a retrouvé cela dans l’une des caves, lance-t-il. Des pièges à loup. Une vingtaine. Vous pourriez peut-être les disposer aux alentours ?
— Ce n’est pas une mauvaise idée, fait Bézélios. Que l’on ait affaire à un homme ou à une bête, la nuit ça peut fonctionner.
Les saltimbanques s’exécutent en grommelant. Il est toujours hasardeux de manipuler ce genre de machine qui, sur un faux mouvement, peut se refermer d’un coup sec, vous tranchant la main.
On se partage le contenu des sacs. Les mâchoires de fer sont placées aux endroits supposés stratégiques. Avec un animal, on ajoute un appât dont le fumet aura la même fonction que le fameux chant des sirènes. Avec un homme c’est moins évident, car même un demeuré peut jouir d’assez de cervelle pour se montrer méfiant.
— Parions qu’il souffre de la faim, propose Bézélios. Et accrochons un bout de lard à proximité du piège, ça le fera venir.
— Non, riposte Wallah. Ça fera venir les renards. Un homme trouvera bizarre qu’on sème de la viande au hasard et il redoublera d’attention.
— Peut-être, soupire le forain. Peut-être aussi que sa cervelle a la taille d’une noix et qu’il ne réfléchit jamais à ce genre de choses.
— Tout est possible, admet Wallah avec un haussement d’épaules.
Au vrai, elle ne croit pas que les pièges puissent avoir la moindre efficacité. L’ennemi est trop rusé pour se laisser prendre à un subterfuge aussi élémentaire.
À présent il fait presque nuit et tout le monde est pressé de rentrer. Depuis la mort de Gros-Nez, il n’est plus question d’instaurer des tours de garde extra muros . Bézélios insiste toutefois pour qu’une sentinelle arpente le chemin de ronde jusqu’à l’aube. On se relayera toutes les trois heures. Les femmes en seront dispensées, sauf Wallah que son statut d’archère a privée des accommodements concédés au sexe faible. La jeune fille accueille la décision sans broncher, elle n’apprécierait guère d’être mise au même rang que Javotte et ses putains.
Comme par hasard, c’est elle qui tire la courte paille et écope de la première
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