La Fille Du Templier
passer les intérêts commerciaux avant
ceux de l’Église, et j’ai été pris au jeu des intrigues en croyant sauver l’honneur
de la reine Eléonore et du roi Louis. La leçon que je tire de cette lutte
tragique est une leçon d’humilité. L’expérience m’a prouvé que nous devons
renouer avec les règles de la chevalerie et devenir des preux défendant les
justes causes si nous ne voulons pas succomber aux forces du mal. Je cherchais
à établir la paix par le fer au royaume de Dieu et je m’aperçois à présent que
vous y êtes parvenues sans verser le sang. Ici tout est paix et amour. J’ai
tout à apprendre de votre cour et si tu le veux, dame Bertrane, je servirai ta
cause sous la bannière du cygne.
Bertrane et ses amies en furent toutes remuées. Ce n’était
pas simplement une voix, mais un miracle. Jean avait subjugué son auditoire. Il
avait parlé en provençal, mais la sonorité pure de chaque syllabe en faisait
comme une langue nouvelle qu’elles entendaient pour la première fois. C’était
la voix d’un paladin. La franchise qu’exprimait cette bouche ne pouvait être
mise en doute. Il était de la race des Guigo et Geoffroy de Signes qui s’étaient
illustrés en prenant Jérusalem et en rapportant de saintes reliques. Il était
de la famille d’Agnis et quoi qu’il en dit, son sang était celui des guerriers
ligures qui avaient tenu tête aux Romains durant des siècles. Agnis, le feu…
Ce feu couvait maintenant dans la plupart des esprits des
femmes qui l’encerclaient. Toutes auraient voulu nouer leur ruban à sa lance, mais
elles ignoraient qu’il avait choisi de porter les couleurs d’Aubeline d’Aups. Elles
crurent cependant que son choix était fait quand il mit un genou en terre pour
se mettre au service de la dame au cygne. Elles frémirent car il prenait des
risques. Bertrand de Signes, qui refusait d’approcher son épouse, était d’une
jalousie féroce.
— Tu combattras pour moi lors du tournoi de Noël, dit-elle.
— Je ne puis accepter, je me suis déjà engagé, répondit-il.
— Engagé !… Envers qui ?
— Aubeline d’Aups.
Aubeline d’Aups. La tête de Bertrane se mit à tourner. Tout
s’effondrait et elle allait perdre conscience lorsque la porte s’ouvrit
brutalement en claquant contre le mur.
— Jean d’Agnis !
Casteljaloux avait hurlé le nom du Signois. Il brandissait l’épée.
Derrière lui, Delphine lançait un regard de méchanceté triomphale sur la
touchante réunion de la pairie.
— Qu’on en finisse ! ordonna-t-elle au chevalier d’Aquitaine.
Edmond n’avait nul besoin d’être encouragé. Il haïssait l’homme
qui avait insulté sa reine. Il courut vers Jean au milieu d’un envol de robes
et de cris d’effroi. Jamais arme n’avait répandu le sang dans le sanctuaire de
la cour d’amour. Bertrane était paralysée par l’horreur. Le vengeur bouscula
Stéphanie et Alix qui cherchaient à s’interposer.
— Mordieu ! jura-t-il. Laissez-moi passer ! Cette
affaire ne vous concerne en rien !
Il leva son épée et rencontra la lame de Robert.
— Mais cela me concerne ! s’exclama ce dernier. On
ne touche pas à mes amis.
L’épée du chevalier noir était plus longue que celle de
Casteljaloux, plus lourde de trois livres. Revenu de sa surprise, Jean dégaina
à son tour. Ancelin vint soutenir son seigneur. Il allait y avoir mort d’homme.
À cet instant, Bertrane s’interposa. Les épées se dressaient au-dessus d’elle
mais elle n’avait pas peur. Elle ne permettrait pas à ces barbares de réduire à
néant tous les efforts de paix et d’amour encouragés par la cour depuis des années.
La violence était partout, elle la retrouvait continuellement sur son chemin, même
à Signes. Le moine fanatique n’avait-il pas jeté une pierre sur le mur du
château ? Elle défia tour à tour les bouillants adversaires qui crispaient
leurs poings sur le manche des épées.
— Qu’attendez-vous pour abattre vos armes ? Mon
sang sera le premier versé et vous le regretterez toute votre vie. Est-ce ainsi
que vous respectez le droit à l’hospitalité, la charité chrétienne, les règles
de la chevalerie ? Je m’adresse particulièrement à toi, Casteljaloux. Tu n’es
pas digne de ton rang. Depuis Charlemagne, les Signois réfrènent leurs passions
lors de la trêve de Noël. Mon époux et moi l’avons déclarée sacrée.
Elle s’adressa à nouveau à tous :
— Si vous voulez vous
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