La Fille Du Templier
eut le
dernier mot.
— Tue ce chien, mon brave, et je préparerai moi-même
les huiles pour conserver sa tête que tu apporteras à notre reine bien-aimée. Ne
te soucie pas de la trêve. Dieu te pardonnera.
Jausserande regarda la comtesse avec horreur. La dame de Dye
était abîme et ténèbres, irradiant des forces mauvaises que lui auraient
enviées les sorcières.
Edmond n’eut pas un coup d’œil pour sa jeune maîtresse. Il
sortit du moulin avec la ferme intention de rapporter la tête du félon à
Eléonore. Il en éprouvait une sorte de vertige comme s’il n’avait pas mangé
depuis la veille. Il avait faim de combat, soif de sang. Jean d’Agnis n’était
plus un fantôme obsédant, mais un être de chair qu’il allait percer de son épée
sans plus tarder.
— Notre homme est de retour ! dit-il simplement à
Ancelin qui l’attendait avec les chevaux.
L’écuyer n’éprouva pas la joie de son chevalier. Il pensa à
la trêve. Que dire, que faire ? Il était impossible de raisonner un
Casteljaloux. Il songea avec tristesse à demoiselle Alix. Il ne s’était pas
déclaré. Tout était perdu. Et l’amour. Et l’honneur. Edmond l’entraînait vers
un noir destin.
Jean et Robert n’étaient plus sur terre. On leur avait
ouvert une porte de l’Eden. Par la volonté des dizaines de fées qui peuplaient
ce château, des centaines de cierges et de lampes avaient été allumés dans les
couloirs et les salles. Sous ce scintillement, les pierres et les statues
paraissaient vivantes. Frôlés par les robes, enivrés par les parfums, charmés
par les luths et les harpes, les deux chevaliers se laissèrent conduire jusqu’à
la vaste pièce ronde d’un donjon percé d’archères couvertes de pâte de verre. Ils
allaient d’étonnement en étonnement. Les murs parlaient d’amour. Ici des
lettres d’or s’étalaient sur un bandeau de marbre blanc : N’a pas de
saveur ce que l’amant prend de force à l'autre amant. Là elles brillaient
dans une niche où avaient été déposés un rameau d’olivier et des tiges de
bruyère : Il ne convient pas d’aimer celle qu’on aurait honte de
désirer en mariage. La bruyère exaltait les sentiments d’amour, mais Jean
ignorait tout des symboles chers aux femmes de Provence. Pas Robert. Sa jeune
et regrettée épouse lui avait enseigné ces choses.
Élise les apprendra, pensa-t-il. Pour plaire à sa jeune
amoureuse, il embellirait la tour de Paneyrolle.
Robert clignait des yeux. Tout était trop beau. Il n’avait
pas l’expérience orientale d’un Jean qui avait vu des merveilles à Byzance, à
Antioche et à Tripoli. Sa tour était un taudis en comparaison de ce château. L’hiver,
l’humidité suintait à travers les pierres disjointes, les rats n’hésitaient pas
à prendre leurs quartiers dans les cuisines, les feux de cheminée ravivaient
des odeurs d’urine. Le donjon des Dames offrait un confort inouï. Une épaisse
couche de chaux le purifiait des caves au grenier. Des tentures de cuir, de
solides portes et des peaux de bête l’isolaient du froid et de l’humidité.
Ils parvinrent dans une salle où d’antiques statues païennes
dévoilaient leur nudité. Le long des murs, des bannières déployaient les armes
de Stéphanie, d’Adalarie, d’Alalète, d’Hermissende, de Bertrane, de Mabille, de
Delphine, de Rostangue et de Jausserande, mais c’était le cygne d’or sur fond
blanc de Bertrane de Signes qui l’emportait par sa taille et sa magnificence
sur les étoiles, les cœurs, les roses et les licornes. La lueur des flammes
animait l’œil de l’oiseau où des doigts habiles avaient cousu des éclats de
diamants et de saphirs.
— Vous êtes ici chez vous, dit Bertrane. Bérarde, tu
peux nous laisser à présent. Rassure Aubeline. Dis-lui que les chevaliers sont
sous ma protection.
La géante obtempéra de mauvaise grâce. Elle ne doutait pas
des paroles de la comtesse, mais elle aurait préféré protéger les deux
chevaliers avec sa hache.
— Comme tu voudras, fit-elle avant de tourner les
talons.
Bertrane prit la main de Jean pour le guider vers un
fauteuil tandis que Stéphanie s’emparait de celle de Robert. Aussitôt de jeunes
servantes retirèrent les bottes des chevaliers.
Jean n’avait jamais été aussi choyé. Les deux demoiselles
agenouillées enlevèrent le bas de ses chausses et recouvrirent ses pieds de
linges chauds et parfumés. Cependant, il n’appréciait pas ces délicatesses.
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