La Fille Du Templier
défendre jusqu’à la dernière
goutte de leur sang.
Stéphanie n’en demandait pas tant. Elle leur rappela sa
volonté d’épargner des vies.
— Donnons une leçon au comte de Barcelone ! Que le
Seigneur nous accorde la grâce de le prendre rapidement vivant. Il plairait à
Jésus de voir s’établir enfin la paix entre nos deux maisons. Je vous le
rappelle, mes amis : c’est une guerre entre bons chrétiens, une guerre
fratricide, les Baux ne sont pas Jérusalem et je préférerais être aux côtés du
roi Louis, du comte de Toulouse et de l’empereur Conrad en partance pour la Terre sainte que sur les bords du Rhône, face à mon beau-frère. Prions, mes amis, mes frères,
mes fils, prions et recevons la bénédiction de Dieu.
Ils se recueillirent pendant que prêtres et moines passaient
entre leurs rangs pour les bénir. Durant de longues minutes, leurs
chuchotements se mêlèrent pour la gloire du Christ et la sauvegarde de leurs
âmes, puis le chapelain Guillaume, à l’aide d’un rameau d’olivier, aspergea
Stéphanie, ses fils et les seigneurs. Leur destin était scellé. Les chevaliers
déployèrent les bannières, les soldats défilèrent devant la comtesse. Un cor
lança un appel lugubre dans le lointain.
Bérarde soufflait de toutes ses forces dans l’instrument de
cuivre au large pavillon. Aubeline lui fit signe d’arrêter. L’olifant avait dû
être entendu par Bertrane de Signes, les dames et leurs alliés. Il signifiait
que les armées de Stéphanie et de Raymond Bérenger de Barcelone avaient été
repérées et qu’elles se trouvaient bien sur la frange de la Camargue comme l’avait prévu le plan initial.
— Nom de Dieu ! jura Aubeline en contemplant les
milliers de guerriers qui se préparaient à l’affrontement.
— Beaucoup d’âmes vont rôtir en enfer, commenta la Burgonde qui considérait cette guerre comme un péché.
Il y avait tant de créatures de Satan à massacrer en Judée
et en Palestine. Pourquoi s’entre-tuer entre gens qui avaient été baptisés, entre
êtres qui communiaient à la messe et recevaient le corps du Christ en
récompense. La faute de cette guerre fratricide incombait à ce traître de
Raymond Bérenger dont elle entrevit la bannière, puis l’écu étincelant au
milieu d’une cavalerie bardée de fer. Elle s’en tint à sa première idée :
« Lui couper les couilles ! »
Elle se tourna vers Aubeline, fière et droite sur son
destrier de bataille. La jeune femme avait ramené ses cheveux bruns sous un
casque à nasal surmonté d’une pointe. Sur la cotte de mailles et le haubert de
cuir clouté, elle portait la tunique aux armes d’Aups : la tour noire et
les trois feuilles de laurier, sur laquelle elle avait fait coudre la croix des
Templiers.
La croix rouge pattée apparaissait aussi sur son écu. Ce qui
rappelait à tous qu’elle était la fille du templier et que son sang était celui
du courageux Othon d’Aups qui – on venait de l’apprendre – avait sauvé la vie
du roi Louis VII en Palestine.
De la pointe de sa longue lance, Aubeline désigna Raymond
Bérenger.
— Il me le faut !
— Non, celui-ci est à moi ! Je t’ai laissé la Bête de la Sainte-Baume, laisse-moi le monstre de Catalogne.
Aubeline ne se récria pas. On improviserait sur le champ de
bataille. Approcher le loup s’était révélé facile. Atteindre le comte de
Barcelone tiendrait du miracle.
— Retournons auprès de Bertrane ! commanda
Aubeline en éperonnant sa monture.
6
Stéphanie poussa son cheval en avant de ses troupes. Il y
eut un frémissement dans les rangs. Tous se seraient fait tuer pour elle. L’ennemi
n’était pas en vue, il ne s’était pas présenté à l’heure. Raymond Bérenger
avait sa propre stratégie. L’aube ne lui était pas favorable ; il avait le
soleil en face. Il ne bougerait pas avant que ce dernier tourne et monte haut
dans le ciel.
L’attente durait. Stéphanie craignait l’ardeur de ses
chevaliers, mais conformément aux ordres et à la discipline, ils restaient
figés sur leurs destriers, le petit Rhône dans leur dos, le soleil découpant
leurs silhouettes massives hérissées de lances, de fanions et d’oriflammes. Un
vol de flamants roses passa au-dessus d’eux ; ils y virent un signe de la Vierge qui avait débarqué onze siècles plus tôt avec les saints et les saintes à l’endroit où
ils se tenaient.
La comtesse se retourna et scruta les visages de ses
commandés.
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