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La Fille Du Templier

La Fille Du Templier

Titel: La Fille Du Templier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Michel Thibaux
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leur couche alors
que les rides creusent les recoins de leur bouche et de leurs yeux.
    — Plaise à Dieu que je ne te compare pas à la comtesse
de Dye ! répondit Alix qui cherchait à protéger sa dame avec une
couverture.
    — À quoi bon, puisque je vais prendre le bain ? Allons,
petite sotte, laisse donc l’eau du ciel sur ma peau. C’est une eau de pleine
lune, la meilleure pour le teint.
    Alix n’en croyait pas un mot. La dame de Signes avait certes
la plus belle des carnations, mais il était grand temps de la sécher.
    — Et moi je ne veux pas te voir avec une figure
bilieuse ni t’entendre cracher le sang !
    De bonne grâce, Bertrane se prêta aux frictions de son amie.
Puis, ayant revêtu une chemise sèche, elle la suivit à travers les couloirs du
château tout bruissant des chuchotements des femmes et des échos de la pluie.
    Pas d’armes sur les murs, mais des tresses de lavande, des
bouquets de thym, des fleurs séchées qui mélangeaient leurs parfums sauvages. Quelques
pans étaient décorés d’anciennes mosaïques romaines trouvées dans les vestiges
des villas de l’Empire ; elles représentaient des scènes bucoliques de la
vie quotidienne en ces temps heureux de la pax romana, des dieux rendant
visite aux hommes et banquetant à leurs côtés. Vraiment il y avait ici quelque
chose de paradisiaque. Les dames de Provence avaient remis au jour, perdu qu’il
était sous des siècles d’ignorance, de barbarie et d’obscurantisme, l’idéal
féminin.
    Bertrand de Signes ne s’y risquait pratiquement jamais, pas
plus que les seigneurs du coin et les évêques des grandes villes. En dehors des
périodes de tournois, les nobles bercés par la Chanson de Roland et élevés dans la tradition guerrière préféraient passer au large de la
cour, traversant par mauvais temps vallées et plateaux embrumés par les
dégorgements de sombres nuages bas, et les forêts lugubres livrées aux loups. Les
villages de la Sainte-Baume, reconnaissant le bon droit de la cour, soutenaient
sans faillir ces femmes qui défiaient la loi salique, considérant ce havre de
paix comme la première des garanties de leur liberté.
    Bertrane n’ignorait rien de la responsabilité qui pesait sur
ses épaules. Elle aurait voulu la partager avec des compagnes telles qu’Aubeline
d’Aups. Les femmes chevaliers n’étaient hélas pas légion, et celles qui avaient
pris les armes dès l’an mille en copiant les guerrières normandes s’étaient
enrôlées dans les compagnies en partance pour l’Orient. Elle percevait la
lointaine fureur des hommes, des croisés et des infidèles, le choc des armes, les
discours enflammés des religieux.
    L’équilibre était fragile, toujours menacé. Parfois même, les
moines de Marseille, à l’instigation des évêques, venaient provoquer les dames,
évoquant l’enfer et la damnation. Un vrai dialogue de sourds. Les prêcheurs ne
cessaient de parler le langage de la peur, une peur forcenée, obtuse, atroce. Quand
ils s’avançaient vers le château, ils répétaient à l’envi les mots « péché »,
« perdition », « sacrilège », les accusant même de « simonie »
alors qu’elles n’étaient en rien concernées par les affaires d’argent de l’Église
que le pape Grégoire VII, soixante-dix ans plus tôt, puis le concile de
Latran en 1139 avaient condamnées. Les mensonges remplissaient leurs bouches, les
signes de croix se multipliaient sur leurs poitrines. Signes, la terre marquée,
l’était par Satan. Ils montraient des hosties aux dames avant d’être rossés et
chassés par les Signois. Un jour, elle en était certaine, ces corbeaux en bure
parviendraient à leurs fins, le château des amours serait rasé et leurs
habitantes seraient excommuniées.
    À cette idée, Bertrane pâlit. Elle aurait voulu être libre
et indomptable comme l’eau qui jaillissait sous les courtines et dans les
salles basses, le long des remparts, sur les flancs des collines, dans les
valleuses, emportant tout sur son passage avant de se perdre dans la mer. Par
bonheur, Alix ne remarqua pas son trouble. La damoiselle avait tendance à
mettre son nez dans le cœur des autres. Précédant sa maîtresse, elle emprunta
un étroit escalier en colimaçon qui s’enfonçait dans les entrailles du manoir.
    On entendait clairement couler l’eau dans les fontaines
intérieures. Tout un système de conduits emprunté aux Romains permettait d’alimenter
des bassins de

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