La Fille Du Templier
garçon haussa les épaules et s’en alla rejoindre les siens.
Il n’avait pas fait trois pas que déjà le moine l’avait rattrapé.
— Tu vas entrer dans le château et dire à la dame de
Signes et à la comtesse des Baux que le chapelain Guillaume s’en est allé à la
forteresse de sire Bertrand pour faire ses dévotions à la Vierge Marie.
L’argument tenait. La chapelle de la Vierge de Château-Vieux était renommée. Des foules entières s’y rendaient le jour de l’Assomption.
L’enfant acquiesça car dans la main de Guillaume brillait un sou melgorien tout
neuf. Il subtilisa ce petit soleil de cuivre d’un geste si prompt que le chapelain
en demeura bouche bée. Décidément le monde avait bien changé. L’enfant
rejoignit sa famille, parla à un homme qui devait être son père, puis marcha
aux côtés d’Aubeline et de Bérarde à qui il confia sa mission.
— Reste avec moi, Hermelin, dit Aubeline qui aimait
beaucoup ce garçon agile des mains et vif d’esprit.
Sa famille vivait à Meynarguette. Othon la tenait en grande
estime, au point d’emmener avec lui le fils aîné qui à l’heure qu’il était
devait porter la robe du Temple. Aubeline se retourna. Le moine avait déjà
disparu.
Tout en reprenant le chemin de Château-Vieux, le pauvre
Guillaume songeait aux millions de prières nécessaires pour la sauvegarde des
âmes et il se mit à réciter un premier Notre Père.
Bertrane et Stéphanie ne s’aperçurent pas de son absence. Le
ravissement les prit sous le haut porche principal du château des dames décoré
de roses et de laurier. Leurs poitrines se soulevèrent à la vue des lettres
gravées sur le fronton :
Amour divulgué est rarement de durée.
La cour intérieure ressemblait à une ruche –, il y avait là
une bonne quarantaine de pucelles et autant de petits pages assemblés autour de
longues tables chargées de victuailles. Des voiles bleutés flottaient le long d’un
perchis doré devant lequel un orchestre attendait le signal d’une dame. Il vint
d’Alalète d’Ongle qui menait le cortège. Aussitôt, vielles, bombardes, syrinx
et tambours s’unirent sur un air de branle.
Il y eut des applaudissements. Les demoiselles de compagnie
aux doux minois entourèrent les arrivantes. Bertrane se laissa embrasser par
les jouvencelles parées de leurs plus beaux atours. Le fard avivé par la
lumière brutale de midi rehaussait la finesse de leurs traits, la cendre sur
les paupières alourdissait leurs regards et, sous les frisons de leurs cheveux
noués en torsades, brillaient des perles de la mer Rouge et de la mer de Chine.
Elles portaient aux bras et aux chevilles une telle abondance de bracelets qu’à
chacun de leurs mouvements on croyait entendre le tintement des rayons d’or que
le soleil faisait naître sur leur peau blanche.
Une jeune fille tendit un linge mouillé et parfumé à
Bertrane. Une autre l’accompagnait en portant une cruche d’argent ciselé et un
gobelet de verre bleu.
— Douce dame, c’est bonheur que de te revoir. Prends ce
linge, goûte l’eau de ta source afin d’oublier l’amère douleur de la guerre. Et
toi aussi, gente dame des Baux, bois cette eau aux pouvoirs merveilleux et
réjouis-toi d’être en vie. Prenez toutes deux vos places parmi nous et
apprenez-nous encore à servir loyalement l’amour pour que nos vies parviennent
à une fin bienheureuse.
Ce fut à cet instant que Bertrane et Stéphanie prirent
conscience de l’espoir qu’elles représentaient. Il y avait toutes ces filles et
ces femmes de Marseille, Toulon, Cuges, Méounes, Belgentier, Evenos, Cassis
autour d’elles, et tous ces chevaliers, ces soldats, les gens au-delà des
remparts, au-delà des montagnes et des fleuves, qui rêvaient de paix et d’amour.
Elles se devaient de les contenter. Quand elle sentit la fraîcheur du linge sur
son visage, lorsqu’elle eut bu l’eau pure, puis le vin miellé des Chartreux, que
les vierges de la Sainte-Baume posèrent sur son front une couronne de fleurs
blanches et que fut déployée la bannière au cygne, Bertrane redevint la reine
de la cour d’amour.
Le branle s’emballa. Les cavaliers galants offrirent de
mener les favorites de ce bouquet chatoyant de robes et de rubans. Et il en
fallait du courage pour s’adresser à des femmes dont la plupart possédaient
puissance et richesse. Les hommes présents, bien que nobles, avaient peu d’importance
et de biens. Ils avaient offert leurs bras
Weitere Kostenlose Bücher