La Fin de Pardaillan
son tour, Pardaillan avait voulu le rassurer pleinement.
– Ecoute, lui dit-il, tu viens de me rendre un signalé service. Je veux t’en récompenser d’une manière que tu sauras apprécier comme il convient, je n’en doute pas : je te donne ma parole, et tu sais que je n’ai jamais manqué à cette parole, je te donne donc ma parole de ne jamais révéler à âme qui vive ce que je sais sur ton compte, quand bien même ce serait pour sauver ma tête. Mieux : à dater d’aujourd’hui, je t’ignore complètement, je ne te connais plus, j’ai oublié qu’il existe un Stocco au monde, ce qu’il a été, ce qu’il a pu faire. Tu peux donc dormir sur tes deux oreilles maintenant.
Et Pardaillan s’était lancé à la suite de la litière de Fausta en se disant :
– Ce Stocco est un niais !… Il aurait dû savoir que ce n’est pas moi qui l’aurais jamais dénoncé à son maître ni à d’autres.
Stocco, de son côté, songeait :
–
Santa Madonna,
me voilà enfin délivré de cet affreux cauchemar ! Car je le connais, maintenant qu’il a donné sa parole, il se fera hacher menu comme chair à pâté s’il le faut, mais il ne parlera pas. Comme il l’a dit lui-même, je peux dormir sur mes deux oreilles.
Et le regard de haine mortelle qu’il dardait l’instant d’avant sur Pardaillan s’était presque changé en un regard de gratitude attendrie. Mais c’était décidément une mauvaise bête que ce Stocco. Presque aussitôt, il reprit son expression haineuse et il gronda en lui-même :
« N’importe, comme dit l’autre, je lui garde un chien de ma chienne. Et si jamais l’occasion se présente, sans risques pour moi, je me promets de montrer au sire de Pardaillan que je n’ai pas oublié les abominables minutes qu’il vient de me faire vivre. »
Laissons Stocco, auquel d’ailleurs il nous faudra bientôt revenir, et suivons Pardaillan, puisque Pardaillan nous conduit à la suite de Fausta, avec laquelle nous n’en avons pas encore fini.
Pardaillan suivait donc la litière de Fausta. Et la litière de Fausta ne suivait pas le même chemin qu’elle avait pris pour venir : elle s’en allait chercher la rue de Vaugirard, passait devant le magnifique hôtel que Marie de Médicis était en train de se faire construire là, et que nous appelons aujourd’hui le palais du Luxembourg, et s’en allait rentrer dans l’université par la porte Saint-Michel.
Au retour comme à l’aller, en marchant, Pardaillan faisait ses réflexions. Et ce sont ces réflexions que nous allons noter, ou du moins une toute petite partie de ces réflexions.
« Cette Fausta, se disait-il, rendant d’abord, en loyal adversaire qu’il avait été toute sa vie, un juste hommage à son éternelle ennemie, cette Fausta, elle n’a pas changé ! Toujours la même, au physique comme au moral… Quel être prodigieux, étonnant, unique !… Quel dommage qu’une femme aussi remarquable ne sache utiliser ses rares qualités d’intelligence que pour le mal !… Enfin, elle est ainsi et non autrement, elle n’y peut rien sans doute, et ni moi non plus… Bon, nous voici dans la Cité. Je gage qu’elle s’en va droit à la Bastille… Ce Concini, ce pauvre Concini, quel triste sire… et quel piètre lutteur !… il me faisait pitié. Ah ! il n’a pas pesé lourd entre ses mains. En quelques coups magistralement assénés, comme elle seule sait le faire, fini, écrasé, vidé, le Concini, ça n’a pas été long… long… »
Après avoir ainsi, avec impartialité, apprécié les mérites respectifs des deux adversaires qu’il venait de voir aux prises, Pardaillan recommença à se poser l’interminable série de questions parfois naïves, en apparence du moins, qu’il ne manquait jamais de se poser à lui-même, quand il était sur la piste d’une affaire importante. Le tout entremêlé de réflexions et remarques qui attestaient que, malgré ses profondes préoccupations et l’énorme tension de son esprit, il ne perdait pas un seul instant le sens des réalités et avait l’œil et l’oreille à tout.
« Ainsi, songeait-il la voilà au service du roi d’Espagne ?… Depuis combien de temps ?… Il doit y avoir longtemps… Je la croyais morte, moi. Ah ! bien oui, la voilà duchesse de Sorrientès, princesse d’Avila, que sais-je encore… et en faveur toute particulière près de ce maître qu’elle s’est donné, si j’en juge du moins d’après la lettre lue par
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