La Fin de Pardaillan
veillera à ce que vous n’en sortiez plus. Et s’il vous plaît de parler, n’oubliez pas que les murs de la Bastille sont assez épais pour étouffer toutes les clameurs de tous ses habitants réunis.
– A plus forte raison, les gémissements d’un agonisant, sourit Fausta.
– Oh ! madame, je sais de longue date que vous êtes d’une intelligence remarquable, plaisanta Concini, féroce. Voyez comme vous comprenez à demi-mot.
– Il faudra donc m’arrêter, dit Fausta adoptant, elle aussi, le ton plaisant.
– Hélas ! oui, madame, et vous m’en voyez tout marri. Mais j’y songe. Voyez comme les choses s’arrangent bien toutes seules : je vous tiens ici. Je vous garde et tout est dit.
– C’est très simple, en effet. Me voilà donc votre prisonnière. Ces mots, elle les prononça en riant. Elle se fit soudain sérieuse pour ajouter :
– Vous savez que c’est la guerre ?
Concini sentit bien la menace sourde. Au fond, malgré toute son assurance, il ne se sentait pas tranquille : Fausta se montrait trop souverainement calme, trop sûre d’elle-même. Mais il était lancé, il se croyait plus fort et il continua de railler :
– Vous n’y pensez pas, madame. Puisque vous voilà prisonnière, la guerre se trouve finie avant que d’avoir commencé.
Avec le même sérieux, qui avait on ne sait quoi d’effrayant, elle asséna son coup de massue :
– Vous ne m’entendez pas, monsieur. Il ne s’agit pas de moi. Moi, c’est entendu, je me tiens pour prisonnière. Il s’agit de la guerre avec l’Espagne.
Et ce fut bien, en effet, comme un coup de massue qui venait de s’abattre sur le crâne de Concini. Il plia les épaules et s’effara :
– La guerre avec l’Espagne !… Pourquoi la guerre avec l’Espagne, dans une affaire où elle n’a rien à voir et qui n’intéresse que la princesse Fausta.
– Parce que la princesse Fausta représente ici Sa Majesté Philippe III, roi de toutes les Espagnes, monsieur, fit-elle avec hauteur.
Et, sans lui permettre de placer un mot :
– Sa Majesté a dû vous aviser…
Et se reprenant, railleuse à son tour :
– Pardon, j’oublie que vous m’avez assuré que vous n’êtes pas Premier ministre, que vous ne participez pas aux affaires de l’Etat, que vous n’êtes rien… rien qu’un ami de la reine… Adressez-vous donc à Sillery… ou à Villeroy… ou à Puisieux… ou à Jeannin… Je ne sais pas au juste quel est le ministre compétent… Peut-être, en votre qualité d’ami de la reine, consentira-t-il à vous apprendre ce que vous ignorez, à savoir que le roi d’Espagne a annoncé la prochaine arrivée d’un envoyé extraordinaire, muni des pouvoirs les plus étendus, qui le placent au-dessus de l’ambassadeur ordinaire et spécialement accrédité auprès de la cour de France. Oui, le ministre compétent… au fait, je crois, moi, que ce doit être M. de Villeroy… vous apprendra peut-être cela.
– Mais, se débattit Concini qui perdait de plus en plus pied, je sais, en effet, que le roi d’Espagne nous a annoncé la prochaine arrivée de cet envoyé extraordinaire. Cet envoyé, c’est M me la duchesse de Sorrientès, princesse d’Avila. Je ne vois pas ce qu’il peut y avoir de commun entre la duchesse de Sorrientès et la princesse Fausta.
– La duchesse de Sorrientès, princesse souveraine d’Avila, c’est moi, révéla enfin Fausta en se redressant, avec cet air de souveraine majesté qui était si imposant chez elle.
Ceci, c’était le coup de grâce qui achevait Concini effondré. Fausta continua, implacable :
– Vous, monsieur le marquis d’Ancre, qui n’êtes pas Premier ministre, qui n’êtes rien… c’est vous qui l’avez dit… il vous plaît de porter la main sur l’envoyée du roi d’Espagne, de la violenter, de la faire incarcérer comme une vile criminelle, et ceci au nom de la reine régente. Vous n’ignorez pas que toute violence exercée sur ma personne atteint le souverain que je représente. Le roi d’Espagne n’est pas un homme à supporter une telle injure, sans en tirer une vengeance éclatante. C’est la guerre, vous dis-je. La guerre avec l’Espagne prête, archiprête, dont les armées, avant huit jours, auront envahi vos provinces méridionales. Voyez si vous êtes en mesure de faire face à une guerre pareille. Quant à moi, j’en doute.
Concini comprit, un peu tard, qu’il s’était enferré jusqu’à la garde. Il recula,
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