La Fin de Pardaillan
d’autant plus précipitamment que Léonora, qui se montra une seconde, lui donna ce conseil par gestes expressifs.
– Eh ! madame, fit-il, loin de vouloir la guerre avec l’Espagne, nous recherchons une alliance avec elle. Vous qui paraissez être en faveur auprès du roi Philippe, vous ne devez pas l’ignorer.
– Je sais, en effet, dit gravement Fausta, que des négociations sont entamées en vue d’un double mariage entre le roi Louis XIII et l’infante Anne d’Autriche d’une part, l’infant Philippe d’Espagne et Elisabeth de France, sœur du roi Louis XIII, d’autre part.
– Vous êtes, en effet, fort bien renseignée, s’étonna Concini. Ces négociations ont été tenues rigoureusement secrètes à la cour de France. Présentement, la reine, moi et Villeroy sommes seuls à les connaître… Mais, pardonnez-moi, madame, vous vous dites envoyée extraordinaire du roi d’Espagne… Loin de moi la pensée de douter de la parole de la princesse Fausta, mais, mieux que personne, vous devez savoir qu’il est d’usage d’accréditer ces envoyés par des lettres patentes en bonne et due forme. Oserai-je vous demander de me montrer ces lettres avant leur remise officielle.
– Voici ces lettres, dit Fausta.
Elle fouilla dans son sein et en sortit les papiers qui lui avaient été apportés le matin même et de la façon que nous avons indiquée. Elle prit un de ces papiers et le présenta tout ouvert à Concini en disant :
– Voici d’abord une lettre entièrement écrite de la main même du roi et à moi adressée. Lisez, monsieur le maréchal… Lisez tout haut à seule fin que si, d’aventure, quelque confident à vous se trouve par là, aux écoutes, il soit au courant comme vous et puisse vous donner les conseils utiles.
Sans relever ces paroles qui lui prouvaient que la terrible jouteuse avait pénétré son manège, Concini dominé lut tout haut :
« Madame et bien-aimée cousine,
Je vous adresse les présentes pour servir au mieux de notre royal service, vous faisant savoir que nous nous tenons prêt à vous appuyer de toutes façons.
Connaissant votre habileté, votre sagesse, la sûreté de votre jugement et votre dévouement éprouvé, nous vous laissons toute latitude d’agir au mieux de nos intérêts, approuvant et ratifiant d’avance toute décision que vous croirez devoir prendre, et nous ne faisons pas d’autre recommandation que celle-ci :
Aimez-nous toujours comme nous vous aimons.
Votre affectionné cousin. »
PHILIPPE, ROI.
Quand cette lecture fut terminée, Fausta prit tous les papiers et les mit entre les mains de Concini. Celui-ci, qui était pleinement fixé maintenant, feignit de les parcourir du regard pour se donner le temps de réfléchir. Quand il eut achevé, il rendit les papiers à Fausta en s’inclinant de l’air d’un homme qui n’a rien à reprendre. Et tortillant sa moustache d’un geste nerveux, il fit l’aveu de sa défaite :
– Ceci change tout à fait les choses, dit-il. Nous ne voulons pas la guerre avec l’Espagne. Nous respecterons donc, en la personne de madame la duchesse de Sorrientès, l’envoyée extraordinaire, dûment accréditée de Sa Majesté le roi d’Espagne.
Peut-être pensait-il s’en tirer ainsi à bon compte par cette reculade. Il ne savait pas à qui il avait à faire. Fausta n’était pas femme à le lâcher, avant d’avoir tiré de lui ce qu’elle était venue chercher. Et sans marquer la moindre joie du succès qu’elle venait de remporter.
– J’obtiens donc ce que j’ai demandé, dit-elle en remettant tranquillement les papiers dans son sein.
– Que voulez-vous donc ? fit Concini, jouant l’ignorance.
– Je veux, dit-elle en insistant sur les mots, je veux la liberté du duc d’Angoulême.
Concini feignit de réfléchir un instant et :
– Soit, dit-il, je demanderai à la reine sa mise en liberté immédiate. Fausta eut un sourire sceptique.
– Nous n’en finirons pas si la reine intervient, dit-elle.
– Cependant, fit Concini, il faut bien qu’elle signe l’ordre d’élargissement.
– Sans doute, puisqu’elle est régente. Mais vous n’êtes pas sans avoir quelques parchemins dûment signés et scellés d’avance, qu’on n’a qu’à remplir. Je vous sais homme de précaution, Concini, et n’êtes-vous pas le vrai roi de France ?
Une fois de plus, Concini se voyait pris. La formidable lutteuse qu’était Fausta le tenait entre ses mains
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