La Fin de Pardaillan
l’ambition.
– C’est impossible !…
– Direz-vous toujours… Alors M me Fausta vous prouvera qu’elle peut détruire en un tournemain tout l’ouvrage fait par elle-même. Elle vous prouvera qu’elle peut, d’un geste, vous précipiter du haut des cimes vertigineuses dont elle vous aura facilité l’escalade. Et notez qu’elle ne mentira pas. Sur les marches de ce trône où elle vous aura hissé, vous serez dans sa main, à sa merci. Elle pourra, si vous vous soumettez, vous asseoir sur ce trône et vous y maintenir. Elle pourra, si vous vous révoltez, vous briser sans pitié.
Effaré par ces révélations inattendues et par l’assurance que montrait Pardaillan, Charles regardait Fausta finement, comme s’il attendait d’elle un démenti. Mais Fausta se taisait. Sous son calme de commande, la tempête grondait. Elle rugissait en elle-même :
« Oh ! démon !… Démon d’enfer !… Comment a-t-il pu me deviner ainsi ? »
Un silence tragique plana une seconde sur ces trois personnages. Pardaillan reprit :
– Ce trône de France que M me Fausta vous offre, elle ne vous le donnera que si elle doit le partager avec vous. Et ceci vous explique pourquoi elle s’est si bien démenée qu’elle a obtenu du roi d’Espagne qu’il se contentât d’un traité d’alliance, sans exiger la moindre cession de territoire : elle défendait son bien à venir. Maintenant, si je me suis trompé, dites-le, madame. Comme je sais que vous ne vous donnez jamais la peine de mentir, je vous croirai sur parole et je vous ferai réparation.
Fausta avait bien envie de soutenir qu’il s’était trompé. Elle sentait peser sur elle son clair regard. Elle ne voulut pas se diminuer à ses yeux. Elle brava :
– Vous ne vous êtes pas trompé. Mais, ce trône que j’aurai aidé à conquérir, n’est-il pas juste, légitime, que je le partage avec celui à qui je l’aurai donné ?
Sans répondre à cette question, Pardaillan s’adressa de nouveau au duc et, la lèvre ironique, les yeux pétillants de malice :
– Vous voyez, monseigneur, que je ne vous combats pas, comme le prétendait tout à l’heure M me Fausta. C’est elle que je combats et non vous. Je ne suis pas votre ennemi. Tout bien considéré, j’estime, au contraire, que j’agis en ami loyal et fidèle que j’ai toujours été en m’efforçant de l’empêcher de vous entraîner dans de louches combinaisons indignes, je ne dirai pas du fils de roi que vous êtes, mais simplement d’un honnête homme. N’êtes-vous pas de cet avis ?
Charles d’Angoulême baissa la tête sans répondre. Ce silence significatif fit froncer légèrement le sourcil à Pardaillan, tandis qu’il amenait un imperceptible sourire sur les lèvres de Fausta. Tous les deux comprenaient que s’il se taisait, c’est que cette honnêteté à laquelle le chevalier faisait appel était à moitié étouffée en lui par l’ambition. Ils comprirent cela tous les deux et c’est pourquoi Fausta continua de sourire tandis que Pardaillan redevenait froid. Voyant que le duc persistait dans son silence, le chevalier n’insista pas. Comme si de rien n’était, il revint à Fausta :
– Voici une des raisons qui font que je suis contre vous. Rien ne me paraît aussi méprisable que l’abus de la force. Je n’ai jamais pu voir des malandrins assaillir un inoffensif passant pour le dévaliser sans éprouver l’irrésistible besoin de leur tomber dessus à bras raccourcis. Excusez-moi, princesse, si la comparaison n’est pas flatteuse pour vous. Elle est exacte, et cela suffit.
– Sauf que l’inoffensif passant dont vous parlez est un roi, rectifia Fausta avec un sourire livide.
– Un enfant, madame, rectifia à son tour Pardaillan. Un malheureux enfant, faible, abandonné, trahi, pillé sans vergogne par tous… A commencer par sa mère. Voilà ce que je vois qu’il est, moi, le pauvre petit Louis treizième.
– En sorte que s’il était un homme fait, de taille à se défendre, vous le laisseriez se débrouiller tout seul ?
– Entendons-nous, madame : s’il s’agissait d’une lutte au grand jour, à armes loyales et pour une cause honorable, tenez pour assuré que je ne songerais nullement à intervenir. Mais ce n’est pas de cela qu’il est question. La lutte que vous engagez est ténébreuse, sournoise, traîtresse. Le mobile qui vous guide est misérable, honteux. Comme le malandrin dont je parlais tout à l’heure, vous
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