La Fin de Pardaillan
ressaisie. Elle fixa sur lui un long regard d’admiration qu’elle ne chercha pas à dissimuler et, de sa voix redevenue douce :
– Pourtant vous n’étiez pas à Paris, hier… Vous pensez bien que je me suis inquiétée de vous…
– Je m’en doute. Je suis arrivé ce matin, madame.
Fausta le regarda encore avec le même air d’admiration et prononça simplement :
– Prodigieux !…
Mais ce mot, à lui seul, exprimait tant d’émerveillement sincère que Pardaillan s’inclina comme il eût fait devant le compliment le plus flatteur. Cependant qu’elle songeait :
« Quel homme ! L’âge n’a eu aucune prise sur lui. C’est toujours l’homme d’action aux résolutions foudroyantes mises à exécution avec la rapidité de la foudre. Il est de retour depuis ce matin seulement, et déjà il m’a percée à jour et il se dresse devant moi. Si je le laisse faire, il en sera de cette fois-ci comme des autres : il me battra, comme il m’a toujours battue dans toutes nos rencontres… s’il ne me tue pas cette fois-ci. J’hésitais à le frapper. J’avais tort. Puisque je le tiens ici, chez moi, il ne faut pas qu’il en sorte vivant. Il n’en sortira pas. »
Ayant pris cette résolution, elle sourit et, sans songer le moins du monde à nier, avec cette aisance incomparable qui attestait qu’elle se croyait, comme elle l’avait dit elle-même, « au-dessus des lois et des préjugés qui régissent le troupeau des humains », voulant éclaircir un point auquel elle attachait une certaine importance, elle interrogea :
– Vous étiez donc au courant de la naissance mystérieuse de cette fille naturelle de Concini ?
– Pas le moins du monde, répondit Pardaillan avec sa franchise accoutumée. Je ne connais cette histoire que par ce que vous en avez dit à Concini et que j’ai entendu.
– Alors, s’étonna Fausta, comment savez-vous que cette enfant vit encore et qu’elle s’appelle Brin de Muguet ? Car enfin je ne l’ai pas nommée. Et à Concini, qui la croit morte, je n’ai rien dit qui fût de nature à le détromper…
Complaisamment, Pardaillan expliqua :
– C’est exact, madame. Et j’avoue que, ce matin, l’idée ne m’est pas venue que cette enfant pouvait être vivante encore. Mais tout à l’heure, à M. le duc d’Angoulême, vous avez nommé la petite bouquetière. Et vous en avez parlé dans des termes tels qu’il n’était pas besoin d’une grande pénétration d’esprit pour comprendre que c’était elle la fille de Concini.
– Oui, convint Fausta, vous l’avez bien dit : c’est moi-même qui vous ai si bien renseigné. Est-ce tout ce que vous aviez à me dire, chevalier ?
– Non pas, madame, fit Pardaillan, je dois encore vous faire connaître la principale des raisons qui me mettent dans la nécessité de me faire le défenseur du petit roi Louis XIII.
– Sans doute à cause de l’affection que vous lui portez ?
– Non, madame, je ne l’aime ni le déteste, cet enfant. Il m’est indifférent. Je ne le connais pas et je ne tiens pas à le connaître. Mais je connaissais bien son père qui voulait bien m’honorer d’une amitié toute particulière. Or, son père, le roi Henri IV…
– Etes-vous sûr, interrompit Fausta, que le roi Henri IV était bien le père de Louis XIII ?
Et, avec un sourire aigu :
– Je possède deux lettres signées, l’une Marie de Médicis, l’autre Concino Concini, qui prouvent, à n’en pas douter, qu’Henri IV n’était pas le père du petit roi actuel.
Elle triomphait. Pardaillan la considéra longuement, au fond des yeux. Et, sans s’émouvoir :
– Je vous entends, fit-il. Le petit roi, et probablement aussi son frère, le petit duc d’Anjou, n’étant pas les fils d’Henri IV, il est clair qu’ils n’ont aucun droit au trône de France. C’est ce que vous voulez dire, n’est-ce pas ?
– C’est ce que tout le monde dira, répliqua Fausta avec force.
– Oui, sourit Pardaillan, et ceci complète si bien votre manœuvre, que je n’hésite pas à dire que ces deux lettres ont, de toute évidence, été écrites par la même main qui a falsifié l’acte de baptême de la fille de Concini. Cela n’a aucune importance pour moi. Ce qui importe seulement, c’est ceci : le père (il insistait sur les deux mots) de Louis XIII, ayant le pressentiment de sa fin prochaine, se doutant bien du déchaînement d’appétits féroces qui se ferait autour d’un
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