La Fin de Pardaillan
brusquement. Il avait compris.
– Eh ! quoi, fit-il sur un ton de douloureux reproche, est-ce ainsi que vous m’accueillez, Pardaillan ? Ne voyez-vous pas que je vous tends la main ?
– C’est bien de l’honneur que le futur Charles X fait à un pauvre diable tel que moi, répondit enfin Pardaillan d’une voix glaciale.
Mais il ne prit pas la main qui se tendait vers lui.
Le duc se mordit les lèvres jusqu’au sang. Son visage, qui était de cette pâleur mate particulière aux gens qui ont longtemps vécu dans un cachot, s’empourpra un instant et redevint presque aussitôt un peu plus pâle qu’avant. Pourtant il ne se fâcha pas. Mais il se fit froid à son tour pour demander :
– Allons-nous donc devenir ennemis ?
– Cela ne dépendra que de vous, répliqua Pardaillan, toujours glacial.
Et revenant aussitôt à Fausta :
– Ne vous semble-t-il pas, madame, qu’un entretien est nécessaire entre nous ?
– Cela me paraît indispensable, appuya Fausta.
Sans plus tarder, à d’Albaran qui se tenait à l’écart, immobile et raide comme un soldat à la parade, elle commanda :
– D’Albaran, éclaire-nous jusqu’au cabinet de la tour du coin. Et, se tournant vers Pardaillan, elle expliqua :
– Vous m’avez prouvé qu’il est vraiment trop facile d’approcher de cette pièce et de surprendre ce qu’on y dit. Je ne m’y sens plus en sûreté. C’est pourquoi je veux vous emmener dans ce cabinet de la tour du coin, où je suis sûre que nul ne pourra entendre ce que nous allons dire qui doit demeurer entre nous.
– Ici ou là, peu importe, pourvu que nous puissions nous expliquer consentit Pardaillan en levant insoucieusement les épaules.
Muet et flegmatique, comme à son ordinaire, d’Albaran avait déjà pris un flambeau, poussé une porte et attendait. Sur un signe de Fausta, il prit les devants. Dans la pièce où il passa, et où ils le suivirent, douze gentilshommes, l’épée au poing, se tenaient immobiles et silencieux, barrant le passage. A leur tête, comme leur chef, l’épée au poing comme eux, impassible et raide comme eux, se tenait Odet de Valvert. Ce groupe avait on ne sait quoi de menaçant et de formidable.
D’Albaran s’arrêta à deux pas de Valvert, qui ne bougea pas, qui ne regarda pas Pardaillan, lequel, de son côté, ne parut pas le connaître. Le colosse tourna la tête vers Fausta qui s’était arrêtée aussi, immobilisant ainsi le chevalier et le duc, entre lesquels elle se tenait. Et il la regarda d’un air satisfait, comme pour dire : « Voilà une partie des mesures que j’avais prises. »
Et Fausta, qui comprit, sourit, approuva doucement de la tête. Et elle se tourna vers Pardaillan, le considéra avec un sourire aigu, d’un air de dire : « Qu’en pensez-vous ? »
Mais Pardaillan n’était pas homme à se laisser intimider si facilement. Pardaillan se disait :
« Parbleu ! je sais bien que la bataille sera inévitable ! Et du diable si je sais comment j’en sortirai, ni si j’en sortirai !… Mais je sais aussi que Fausta n’entreprendra rien contre moi tant que nous ne nous serons pas expliqués et qu’elle n’aura pas appris ce que je peux bien connaître de ses projets. »
De ce raisonnement, d’ailleurs très juste, il résulta que Pardaillan, au sourire de Fausta, répondit par un haussement d’épaules dédaigneux et un sourire narquois. Et comme il n’était pas, lui, l’homme des mystères et des sous-entendus, à la question muette, il répondit tout haut, de sa voix mordante :
– Je vois. Peste ! je ne suis pas encore aveugle.
Et de son air le plus naïf, comme s’il faisait un compliment flatteur :
– Je vois que, mieux que quiconque, vous vous entendez toujours à dresser un guet-apens.
Fausta ne sourcilla pas. Son sourire se fit plus acéré. Et comme si elle tenait ces paroles cinglantes pour un compliment véritable, elle remercia d’une gracieuse inclinaison de tête. Après quoi, elle fit un signe à Valvert.
Celui-ci, comme ses douze gentilshommes, se tenait impassible, comme il convient à un soldat sous les armes.
Obéissant à l’ordre que Fausta venait de lui donner, il se retourna vers ses hommes et, d’un geste de l’épée, il commanda une manœuvre. Obéissant à leur tour, les douze s’écartèrent avec une précision toute militaire, formèrent la haie, saluèrent de l’épée.
En passant, Pardaillan rendit poliment le salut. Mais avant de
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