La Fin de Pardaillan
enveloppante quand elle voulait. Elle se donnait une peine bien inutile : on comprend que, prévenue comme elle l’était, la jeune fille se tenait sur ses gardes, ne pouvait pas être dupe. Elle jouait à coup sûr, connaissant à fond le jeu de son adversaire qui ne connaissait pas le sien. Léonora allait donc à un échec certain. Mais elle ne le savait pas. Elle entama résolument la lutte – car c’était une véritable lutte qui s’engageait entre les deux femmes – et de sa voix la plus insinuante, avec son sourire le plus engageant :
– Mon enfant, vous savez, n’est-ce pas, le nom de votre père ? Ayant posé cette première question qui devait lui donner la mesure de la sincérité de son adversaire, elle attendit la réponse, non sans curiosité.
Elle ne se fit pas attendre, cette réponse. Elle tomba aussitôt, claire, précise, sans la moindre hésitation :
– Je sais que c’est M. le maréchal d’Ancre.
La réponse amena un sourire de satisfaction sur les lèvres de Léonora. Elle continua son interrogatoire :
– Comment le savez-vous ?
– On l’a dit devant moi, madame.
– Sans doute quelqu’un que vous connaissez bien, et qui vous inspire assez de confiance pour que vous ne doutiez pas de sa parole ?
– Non, madame, quelqu’un que je ne connais pas. Et s’il n’y avait eu que le témoignage de cet inconnu, je ne me serais pas montrée si crédule. Mais, d’abord, la révélation a été faite devant M. le maréchal. Et M. le maréchal n’a pas protesté. Ce qu’il n’eût pas manqué de faire s’il avait eu le moindre doute.
– Assez juste, en effet. Ensuite ?
– Ensuite : non seulement M. le maréchal n’a pas protesté, mais encore il a aussitôt parlé de moi à Sa Majesté la reine et…
– Pardon, interrompit Léonora, vous saviez à ce moment que c’était la reine qui venait d’entrer ?
– Oui.
– Comment ? Personne ne l’avait encore nommée.
– J’exerce mon métier de bouquetière dans la rue, madame. Le plus souvent aux alentours du Louvre. J’ai eu maintes fois l’occasion de voir Sa Majesté. Il n’était pas besoin de la nommer devant moi. Je l’ai aussitôt reconnue… De même que je vous ai reconnue, vous, madame la maréchale.
– Je comprends. Vous disiez donc que le maréchal a parlé de vous à la reine ?
– Oui, madame. Et il a dû très certainement lui dire que j’étais sa fille.
– Qui vous fait supposer cela ? demanda Léonora, qui dressait l’oreille. Vous avez donc entendu ? Vous comprenez donc l’italien ?
– Non, madame, je n’ai pas entendu. Eussé-je entendu que je n’eusse pas été plus avancée : je ne connais pas l’italien. Mais j’ai réfléchi, madame ! La reine ne connaît pas, ne peut pas connaître une humble bouquetière des rues comme moi. Cependant, elle m’a donné l’ordre de la suivre, à moi qu’elle ne connaît pas, à qui, par conséquent, elle n’a pas de raison de s’intéresser. J’en conclus que si elle l’a fait, ce ne peut être qu’à la prière de M. le maréchal.
Ses réponses tombaient toujours avec la même précision, sans la moindre hésitation. Et Léonora, qui l’observait avec une attention soutenue, dut reconnaître en son for intérieur que si elles n’étaient pas vraies, ces réponses paraissaient si naturelles, si vraisemblables qu’il devenait impossible de ne pas les accepter, à moins de dévoiler brutalement ses intentions secrètes. Ce qu’elle ne voulait ni ne pouvait faire.
On remarquera en outre que, par une manœuvre qui ne manquait pas de hardiesse et d’habileté, elle parlait la première de sa mère. Et tout, dans ses paroles comme dans son attitude indiquait qu’elle était à mille lieues de soupçonner que cette reine dont elle parlait avec une sorte de respect craintif pouvait être sa mère.
Léonora fit ces remarques. L’impression qu’elle en ressentit fut favorable à la jeune fille. Cependant, elle n’était pas femme à se laisser convaincre si facilement sur de simples apparences. Elle se fit plus bienveillante, plus enveloppante pour reprendre la suite de son interrogatoire. Et d’abord elle complimenta :
– Je vois que vous n’êtes pas une des ces évaporées qui passent sans rien voir et rien entendre de ce qui se dit et se fait autour d’elles. Vous savez observer et réfléchir, vous. Je vous en félicite.
Malgré elle, elle avait une pointe d’ironie dans ses
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