La Fin de Pardaillan
Muguet rencontra le baron de Rospignac. Il faut croire qu’elle le connaissait, car, en le voyant, son sourcil se fronça, son sourire espiègle disparut, et son regard se durcit. Et elle allongea le pas, prit une allure telle qu’elle avait vraiment l’air de fuir.
Rospignac, accompagné de ses lieutenants, Louvignac, Longval, Eynaus et Roquetaille, rôdait par là à la recherche de Valvert. Il avait déjà aperçu la jeune fille, lui, et ses yeux avaient étincelé. Mais c’était un serviteur probe et consciencieux que Rospignac – quand sa passion n’était pas en jeu, bien entendu. Son maître l’avait chargé d’une mission qui était d’arrêter et de lui amener Odet de Valvert, dont ils ne connaissaient même pas le nom, ni les uns, ni les autres. Cette mission, la vue de celle qu’il convoitait ne suffit pas à la lui faire oublier. Et il fallait qu’il fût vraiment consciencieux pour résister à la tentation. Cette mission, il entendait l’accomplir honnêtement. On a vu cependant que, dans un accès de fureur jalouse, il avait décidé, au sujet du rival que Concini lui dénonçait, qu’il en faisait son affaire et qu’il lui appartenait, à lui seul. Sans doute avait-il réfléchi. Ou peut-être que, pris d’une haine aussi subite, aussi furieuse que celle de Concini, trouvait-il son compte à livrer le jeune homme à Concini, qui ne manquerait pas de lui infliger les tourments les plus horribles avant que de le tuer.
Quoi qu’il en soit, Rospignac ayant décidé d’obéir, Rospignac ayant aperçu la bouquetière des rues, fit un effort sur lui-même pour détourner son attention d’elle et chercher Valvert, qui, pensait-il, ne pouvait être bien loin.
Il se trompait, nous le savons. Il eut beau le chercher partout, il ne le vit pas, et pour cause. Une fois par hasard, il ne rôdait pas autour de la belle. Rospignac eut vite fait de se rendre compte de cette absence. Sa pensée se reporta sur la jeune fille. Il la chercha des yeux. C’est à ce moment-là que Brin de Muguet l’avait aperçu. Rospignac remarqua le changement subit qui se produisit chez elle. Il remarqua qu’elle s’éloignait avec une précipitation qui ressemblait à une fuite.
C’était un joli garçon, ce Rospignac, trop joli garçon peut-être. Jeune avec cela – trente ans à peine – et d’une élégance suprême. Il fut piqué de cette fuite. Il fut piqué surtout de l’espèce de dégoût qu’il paraissait inspirer à cette fille des rues, lui, le séduisant Rospignac, que les plus belles, les plus nobles dames s’arrachaient.
Du coup, il oublia Valvert, il oublia sa mission, il oublia Concini, il oublia ses quatre compagnons, il oublia tout. Il s’élança comme un furieux, la rattrapa en quelques enjambées, se campa devant elle, lui barra le passage, et d’une voix qu’il s’efforçait de garder calme, il railla :
– Cà, je vous fais donc peur, la belle ?
– Peur, vous ! fit-elle d’une voix qui ne tremblait pas. Allons donc ! est-ce qu’on a peur d’un Rospignac !
C’était prononcé sur un ton si souverainement dédaigneux que Rospignac se sentit comme souffleté. Il faillit éclater sur-le-champ. Il se contint cependant et, par un puissant effort de volonté, il parvint à garder au moins les apparences du calme, à dissimuler la rage affreuse qui le secouait. Il railla encore :
– Si je ne vous fais pas peur, pourquoi fuyez-vous ?
– Parce que chaque fois que vous vous trouvez sur mon chemin, vous ou Concini, votre maître, sachant que je n’ai ni père, ni époux, ni frère, pour me défendre, vous en profitez pour m’insulter bassement, lâchement, comme rougirait de le faire le plus vil des manants, comme seuls vous êtes capables de le faire, vous et le ruffian d’Italie dont vous êtes le laquais.
Chacune de ses paroles, qu’elle lançait avec le même écrasant dédain, cinglait comme un coup de cravache appliqué à toute volée. Rospignac ne put en supporter davantage. D’autant qu’il s’aperçut tout à coup que Longval, Roquetaille, Eynaus et Louvignac, qu’il avait oubliés, l’avaient rejoint et écoutaient d’un air très intéressé. Il éclata :
– Cornes du diable ; crois-tu donc que tu vas m’en imposer avec tes grands airs !… Une fille des rues ; c’est à pouffer de rire, ma parole !… Qu’un gentilhomme trouve à son goût une fille telle que toi, mais c’est un honneur insigne dont elle devrait le remercier à
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