La Fin de Pardaillan
massacrante, pestant et maugréant, il reprit le chemin de la rue de la Cossonnerie.
Landry Coquenard comprit qu’il rentrait. Il comprit aussi dans quel état d’exaspération il devait être. Il prit ses jambes à son cou et le dépassa en se disant :
– Oh ! diable, s’il s’aperçoit que je lui désobéis et que je l’ai suivi, de l’humeur où il doit être, il est capable de me chasser.
Il arriva tout courant à leur logis. Par bonheur, il avait fait les provisions la veille. Il se hâta de les placer sur la table et de dresser le couvert. Il n’avait pas encore fini lorsque Valvert parut. Il était en retard de près d’une heure. Il aurait donc été en droit de s’étonner de ne pas trouver son dîner prêt. Il n’y fit pas attention.
Landry Coquenard se dépêcha d’en finir. Et quand tout fut enfin prêt, voyant que Valvert ne parlait pas et sans s’occuper de lui, était allé battre le rappel nerveusement sur la vitre de la lucarne, il interrogea sans façon, faisant l’ignorant :
– Vous ne l’avez pas vue, monsieur ?
Valvert ne s’étonna pas que Landry Coquenard sût où il était allé et qu’il avait perdu son temps en recherches infructueuses. Comme il ne cessait de penser à sa bien-aimée, il lui parut tout naturel que son confident n’eût pas d’autre préoccupation. Et il répondit par un « non » maussade, de la tête.
– Après l’algarade d’hier, c’était à prévoir, reprit Landry Coquenard. Cette pauvre enfant, encore émue sans doute, aura jugé prudent de demeurer chez elle aujourd’hui.
– Tiens ! s’écria Valvert ; déjà à moitié consolé, je n’avais pas pensé à cela ! Par Dieu, tu dois avoir raison, Landry, et tu as trouvé du premier coup la raison la plus plausible. Figure-toi que je m’étais mis dans l’esprit que c’était à cause de moi, et pour me dérouter, qu’elle avait changé ses habitudes.
– C’est une fille sage et prudente, répéta Landry Coquenard, mais ce n’est pas une prude sotte. Vous vous êtes mis bien inutilement martel en tête, monsieur. Cette fille-là, et je ne crois pas me tromper, n’usera point de ruse et de feinte si vous avez le malheur de lui déplaire. Elle vous dira très simplement et très franchement qu’elle n’éprouve aucun sentiment pour vous et vous priera de ne plus songer à elle, de ne plus vous occuper d’elle. Voilà ce qu’elle fera monsieur, j’en donnerais ma tête à couper ; et elle ne s’en ira pas changer ses habitudes pour vous éviter.
– Landry, tu me mets du baume dans le cœur. Décidément c’est une vraie chance pour moi de t’avoir rencontré, et je ne suis qu’un niais ! répliqua Valvert qui passait instantanément du découragement le plus profond à une joie bruyante.
– Vous n’êtes pas un niais, monsieur, et vous le savez bien. Vous avez seulement l’esprit troublé parce que vous aimez ardemment, profondément, sincèrement, comme peut faire un noble cœur qui s’est donné tout entier.
– Tout entier, Landry, tu l’as bien dit ! Ajoute : et pour toujours, jusque par delà la mort.
Et ceci était lancé sur un ton tel que Landry Coquenard tressaillit et après l’avoir considéré une seconde, songea, à part lui :
« Celui-là ne ment pas. C’est bien pour toujours et jusque par delà la mort qu’il s’est donné. Celui-là mourra peut-être de son amour s’il n’est pas partagé, mais il ne se reprendra jamais. Allons, allons, ma petite Florence sera heureuse avec lui… Car si elle ne l’aime déjà, il est impossible qu’un amour aussi pur, aussi puissant que celui-là ne soit pas payé de retour. Laissons faire le temps. »
Et tout haut :
– Je gage que vous la reverrez demain.
– Je le crois, Landry. Je l’espère.
– Bon, puisque nous sommes d’accord, ne vous laisserez-vous pas tenter par cet appétissant pâté et cette volaille dodue ?
Valvert jeta un coup d’œil sur la table. Son appétit se réveilla du coup.
– Ma foi oui, dit-il.
Et il s’installa. Et Landry Coquenard, qui le servait avec une attention qui ne se démentit pas un instant, put constater que les émotions violentes par lesquelles le faisait passer cet amour qui était toute sa vie, ne lui faisaient pourtant pas perdre un coup de dent pour cela. Et il n’en fut pas mécontent du tout.
Après Valvert, ce fut au tour de Landry Coquenard de se régaler des restes plantureux de son maître. Après quoi, ils
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