La Fin de Pardaillan
Coquenard. Il était déjà là comme chez lui. Pendant que Valvert allait et venait en soupirant, lui, sans qu’il eût été besoin de le lui dire, s’était mis à ranger, frotter, nettoyer, comme un maniaque de propreté. Avec ce maître qu’il ne connaissait que depuis quelques heures à peine, ce maître qui n’osait pas lui faire une confidence, il était déjà, lui, aussi à son aise, aussi libre que s’il avait été à son service depuis plus de dix ans. Ayant donc fini par remarquer que son maître soupirait et n’écoutait pas les récits qu’il lui faisait sans cesser de fourbir ses casseroles, ces soupirs par trop fréquents commençant à l’agacer, Landry Coquenard ne se gêna pas pour dire :
– Par la longue pointe de Belzébuth, qu’avez-vous à soupirer ainsi, monsieur ?… Il me semble que vos amours avec la jolie bouquetière ne sont pas en si mauvaise posture qu’il vous faille renverser les meubles en soupirant comme vous faites.
Odet de Valvert s’arrêta net, comme s’il avait mis le pied sur quelque bête venimeuse. Il se retourna tout d’une pièce vers Landry Coquenard, à qui il tournait le dos en marchant et, avec un ébahissement intense :
– Qui t’a dit que je suis amoureux de la petite bouquetière ? dit-il.
– Comment, qui me l’a dit !… Ah çà ! monsieur, vous croyez donc que je suis aveugle ?… Je l’ai vu, tiens !
– Tu l’as vu ?… Mais… cela se voit donc ?
– Pas plus que le nez au milieu du visage, gouailla Landry Coquenard.
– Diable ! peste ! fièvre ! marmonna Valvert qui se mit à marcher avec agitation.
En s’arrêtant de nouveau tout à coup :
– Mais… mais… si cela se voit tant que cela, elle l’a vu aussi ? s’écria-t-il avec effroi.
– Probable, fit Landry Coquenard du même air gouailleur. Les femmes, voyez-vous, monsieur, même les plus innocentes, ont un flair tout particulier pour deviner ces choses-là ! Tenez pour assuré que la jolie Muguette vous a deviné depuis longtemps.
– Ah ! mon Dieu ! gémit Valvert qui chancela.
– Ah çà ! est-ce que vous allez tourner de l’œil, maintenant ? Quel diable d’homme êtes-vous donc ? s’éberlua Landry Coquenard.
– Elle sait ! elle sait ! gémit de plus belle Valvert.
– Que voyez-vous là de désespérant ? Réjouissez-vous plutôt, par les tripes de Belzébuth. Elle sait, oui, monsieur. Mais souvenez-vous du sourire et du geste amical qu’elle vous a adressés avant de disparaître. Vive Dieu, monsieur, pour une jeune fille qui sait, m’est avis qu’elle n’avait point trop l’air fâché. Concluez vous-même.
– C’est que c’est vrai, ce que tu dis là ! s’écria Valvert avec toutes les marques d’une joie extravagante. C’est ma foi vrai !… Elle m’a souri… Donc elle n’était pas fâchée… Donc je puis espérer… Landry, mon brave Landry, crois-tu vraiment qu’elle m’aime ?
– Je le crois, oui, monsieur. Elle n’en sait peut-être encore rien elle-même, mais sûrement le cœur est déjà pris… S’il ne l’est pas encore, il le sera bientôt, n’en doutez pas. Vous lui avez rendu un signalé service, un service dont elle ne peut manquer de vous être reconnaissante. De la reconnaissance à l’amour, il n’y a qu’un pas qui sera vite franchi, s’il ne l’est déjà.
– Landry, mon bon Landry, exulta Valvert, tu m’ouvres les yeux, tu me sauves ! Je me rongeais dans les affres du doute. Maintenant, grâce à toi, je vois clair. Je sens, je comprends que tu dois être dans le vrai. Si elle ne m’aime pas encore, elle ne tardera pas à m’aimer.
– Vous me confondez, monsieur. Vous ne vous êtes donc pas déclaré ?
En posant cette question d’un air détaché, Landry Coquenard observait son maître à la dérobée. Celui-ci protesta avec indignation :
– Jamais de la vie !
Un imperceptible sourire passa sur les lèvres de Landry Coquenard, tandis qu’une lueur de contentement passait dans son œil rusé. Et avec le même air détaché, sans le perdre de vue :
– Eh bien, vous pouvez vous déclarer, maintenant. Je vous réponds que vous serez bien accueilli. Vous pouvez m’en croire, monsieur. Je connais les femmes, voyez-vous. J’ai été à bonne école, avec le signor Concini.
Cette assurance qu’il lui donnait eût dû, semblait-il, redoubler la joie de Valvert. Tout au contraire, elle l’assombrit. Et hochant la tête d’un air
Weitere Kostenlose Bücher