La Fin de Pardaillan
soucieux :
– Non, dit-il, je ne me déclarerai pas… pas encore, du moins.
– Pourquoi ?
– Comment peux-tu me demander cela ? Est-ce qu’un galant homme peut parler d’amour à une honnête jeune fille sans lui parler de mariage ?
– Ah ! ah ! fit Landry Coquenard dont l’œil pétilla plus que jamais. Vous songez donc à l’épouser ?
– Pourquoi pas ? N’est-ce pas une honnête fille ?
– La plus irréprochable des jeunes filles, tout le monde vous le dira. Mais, monsieur, vous voulez rire. Le noble comte de Valvert épouser une bouquetière, une fille des rues !… Est-ce possible, cela ?
– Je t’entends, Landry. Il y a quelques années, j’aurais fait la même réflexion que tu viens de faire. Mais depuis, j’ai reçu les leçons de MM. de Pardaillan. Et… tu ne connais pas MM. de Pardaillan, toi ?
– Si fait bien, monsieur. D’abord, pour ce qui est de M. de Pardaillan père, je me demande un peu qui ne le connaît pas… au moins de réputation. Quant à M. Jehan de Pardaillan, marquis de Saugis, comte de Margency et de Vaubrun, j’ai eu l’honneur de le connaître autrefois quand il s’appelait tout simplement Jehan le Brave.
– Eh bien, puisque tu les connais, tu dois savoir que ces deux hommes extraordinaires font fi de leurs titres. Mon cousin Jehan, marquis de Saugis, comte de Margency et de Vaubrun, comme tu viens de le rappeler, se contente du titre modeste de chevalier, comme son père qui serait duc et pair depuis longtemps s’il l’avait voulu, et qui se contente d’être le chevalier de Pardaillan. Un nom qu’il a rendu légendaire, d’ailleurs, par sa bravoure étourdissante, sa force exceptionnelle, et surtout par sa grandeur d’âme, son étincelante loyauté, son désintéressement unique, son inaltérable bonté ! J’ai été à leur école, te dis-je. Et c’est pourquoi je t’ai dit de laisser de côté tes « monseigneur ». C’est pourquoi t’ayant pris à mon service, je ne t’ai pas demandé de me donner le titre de comte qui est le mien. Brin de Muguet, fille sans famille et sans nom, humble bouquetière, mais honnête et digne jeune fille, est aimée du comte de Valvert ? Le comte de Valvert lui doit et se doit à lui-même de lui offrir son nom et son titre. Peut-être, je dirai presque sûrement, cette pauvre fille des rues se montrera plus digne de ce nom et de ce titre que plus d’une « honnête » dame de qualité.
– Ma foi, monsieur, s’écria Landry Coquenard tout épanoui, vous venez de dire tout haut ce que je pensais tout bas. Mais je n’aurais eu garde de le dire parce que, dans ma bouche, cela n’aurait eu aucune valeur. Tandis que de votre part, c’est tout à fait différent, et je ne suis pas fâché que vous l’ayez dit. J’ai même dans l’idée que cela vous portera bonheur. Or çà, monsieur, puisque vous aimez Brin de Muguet et la voulez pour femme, qui vous retient de le lui dire et de lui demander sa main ?
– Eh ! mâchonna Valvert furieux, que puis-je lui offrir présentement ? Mon titre de vicomte ? Beau comte, ma foi, sans sou ni maille ! Est-ce ce titre-là qui fera bouillir notre marmite ? Que nenni. Attends un peu que j’aie fait fortune. Que je trouve seulement une place qui me permette de lui assurer une existence aisée.
– Alors, monsieur, dépêchez-vous de faire fortune. Dépêchez-vous de trouver cette place.
– Ah ! qu’elle se trouve, cette place, et je te jure bien que je ne la laisserai pas échapper. Non, de par Dieu, quand je devrais entrer au service du diable lui-même !
Ainsi, cette première journée s’écoula en confidences échangées entre le maître et son serviteur. Et le temps s’écoula avec une rapidité qui les surprit tous les deux. Le soir venu, ils commençaient à se connaître et cette sympathie irraisonnée qui les avait poussés l’un vers l’autre était en train de se muer en une bonne et solide amitié.
Quand Landry Coquenard se glissa dans ces draps blancs qui fleuraient la bonne lessive, avait-il dit, il s’étira voluptueusement et s’endormit comme un bienheureux en se disant :
– Allons, cette fois-ci, je crois avoir enfin trouvé le bon gîte. Mon maître est un brave et digne gentilhomme. Et, ce qui vaut mieux encore, un brave homme et un honnête homme.
Quant à Odet de Valvert, il s’endormit aussi rapidement, à peu près certain d’être aimé, ce dont il était loin d’être assuré
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