La Fin de Pardaillan
l’heure. Je ne veux pas m’en aller avec eux. Je les déteste… je les déteste.
– Tais-toi, s’écria Muguette, effrayée de l’exaltation de l’enfant, tais-toi, ma mignonne.
Et, de sa voix la plus douce, la plus persuasive, elle entama un petit sermon pour lui démontrer qu’elle devait aimer et respecter ces parents qu’elle ne connaissait pas. L’enfant l’écouta avec un sérieux, une attention fort au-dessus de son âge. Quand elle vit qu’elle avait fini, elle secoua la tête avec une douce obstination, et, resserrant son étreinte, la joue contre la joue de la jeune fille :
– Je veux bien les aimer et les respecter, puisque tu le veux, dit-elle, mais je ne veux pas qu’ils me séparent de toi. Je veux rester avec ma maman Muguette toujours, toujours…
– Hélas ! ma mignonne, gémit Muguette prête à pleurer elle aussi, eux seuls sont les maîtres et il nous faudra bien nous incliner devant leur volonté.
L’enfant ne répondit pas tout d’abord. Le pli vertical qui barrait son petit front si pur annonçait qu’elle réfléchissait. Son petit cerveau d’enfant travaillait. A quoi pouvait bien penser ce petit ange blond ? Elle le dit elle-même dans son naïf langage. Futée d’instinct, elle commença par préparer les voies : elle prit le gracieux visage de la jeune fille entre ses blanches menottes et se mit à le caresser doucement, puis elle se frotta, câline, joue contre joue, puis enfin ce fut une avalanche de baisers dans les cheveux, dans le cou, sur les yeux, partout, partout. Et elle parla, et de quelle voix enveloppante.
– Maman Muguette, si tu voulais… moi, je sais bien un moyen pour rester toujours ensemble.
– Quel moyen, ma mignonne ? L’enfant parut se recueillir et très grave :
– Voilà, dit-elle : Tu sais bien, Odet ?
– Odet ! suffoqua Muguette. Qui ça, Odet ?
– Odet dont tu parlais avec mère Perrine tout à l’heure… Moi, tu sais, maman Muguette, je jouais avec ma fille… Quand même, j’entendais bien ce que vous disiez, va. J’entendais tout, tout, tout.
Et dans une explosion :
– Je l’aime bien, moi, Odet !… Je l’aime de tout mon cœur !
– Mais tu ne le connais pas ! se récria Muguette interdite.
– Je l’aime tout de même ! répéta Loïse avec une force singulière. Et elle expliqua :
– Je l’aime, parce que tu l’aimes, toi ! Loïse aime tous ceux que sa maman Muguette aime.
– Et qui t’a dit que je l’aime ? s’écria Muguette en rougissant malgré elle.
– C’est toi.
– Je n’ai jamais dit cela !
– Tu ne l’as pas dit mais j’ai bien vu que tu le « disais » quand même. Et puis, lui aussi t’aime bien. Loïse aime tous ceux qui aiment sa maman Muguette. Je l’aime bien aussi parce qu’il t’a défendue. Alors, voilà : puisqu’il t’aime et qu’il veut que tu sois sa femme, tu n’as qu’à dire oui. Alors, moi, je serai sa fille. Alors, lui qui est si fort, si fort, il saura bien nous défendre toutes les deux. Alors, personne ne pourra plus nous séparer. Tu ne seras plus seule, abandonnée. Tu ne pleureras plus. Tu vois comme c’est simple. Dis oui, maman Muguette, dis oui, je t’en supplie.
– Ah ! le cher petit ange du bon Dieu ! éclata la mère Perrine, c’est qu’elle a trouvé le vrai moyen, elle ! Ecoutez-la, demoiselle, écoutez la voix de l’innocence qui parle par sa bouche !
– Ah ! se défendit Muguette, si vous vous mettez tous contre moi !…
– Il n’y a pas d’autre moyen. L’enfant, inspiré par Dieu, a vu les choses telles qu’elles doivent être. Ce comte de Valvert est un brave cœur. Il adoptera l’enfant qui trouvera un défenseur en lui. Et si elle retrouve ses parents, si ses parents la reprennent… eh bien, vous aurez de beaux enfants à vous, que vous aura donnés votre époux, et ces enfants vous feront trouver moins cruelle la perte de votre Loïsette. Si elle ne retrouve pas ses parents, vous lui aurez donné un père. Et c’est quelque chose, il me semble. Croyez-moi, demoiselle, c’est là la solution la plus naturelle et la meilleure : celle qui vous procurera le bonheur à tous.
– Vous en parlez à votre aise, fit Muguette. Et non sans quelque mélancolie :
– Mais réfléchissez donc un peu, sans vous laisser emporter par votre aveugle affection pour moi, ma bonne Perrine. Voyons, est-ce que le noble comte de Valvert peut épouser une fille sans nom, une humble
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