La Fin de Pardaillan
riche bourgeoisie. Ah ! on voyait bien que rien ne paraissait trop riche, trop beau pour elle.
Elle jouait, avons-nous dit. Elle s’efforçait de jouer, devrions-nous dire. Mais visiblement, son esprit n’était pas au jeu. Elle était inquiète, triste, préoccupée, et elle faisait la moue d’un enfant malheureux qui se retient de toutes ses petites forces pour ne pas éclater en sanglots. Elle tenait sur ses genoux une poupée à qui elle parlait gravement, qu’elle grondait doucement, et les reproches qu’elle adressait à sa poupée trahissaient la peine secrète qui était la sienne :
– Vous voyez, zézayait-elle dans un gazouillis très doux, vous voyez, « mamoiselle », vous n’avez pas été sage… Et maman Muguette, fâchée après vous, n’est pas venue… Elle devait venir, maman Muguette, et elle n’est pas venue… elle ne viendra plus maintenant… C’est votre faute, et vous êtes une vilaine, mamoiselle… Vous faites beaucoup de peine à votre maman Loïse… Elle a beaucoup de chagrin, votre maman… beaucoup de cha… grin… sa maman Muguette ne vient pas… Elle ne verra pas sa maman Muguette…
Valvert entendait la plainte douce et naïve de l’enfant, et il sentait son cœur saigner dans sa poitrine.
Brin de Muguet l’entendait aussi, et elle demeurait là extasiée, ravie, délicieusement remuée.
– Ah ! le cher petit ange du bon Dieu, s’attendrit la bonne mère Perrine, l’entendez-vous ? Si vous l’aimez bien, elle vous le rend bien, allez.
– Loïse ! appela doucement Muguette, ma petite Loïsette ! L’enfant entendit, leva la tête. Son joli visage s’illumina, ses yeux, ses limpides yeux bleus s’emplirent d’une expression de tendresse infinie. Elle se redressa d’un bond, envoyant rouler « sa fille » dans une plate-bande. Elle eut un cri passionné, dans lequel se résumait toute son ardente affection :
– Maman Muguette !…
Et elle partit en courant aussi vite que le lui permettaient ses petites jambes, et vint se jeter dans les bras que lui tendait la jeune fille et l’étreignit nerveusement de ses petits bras, la couvrit de baisers en répétant :
– Maman Muguette !… C’est toi !… Te voilà !… ma jolie maman Muguette !…
– Ma fille, bégayait Muguette ravie en la dévorant de caresses, ma petite fille chérie !… Ma jolie, ma mignonne Loïsette !… Oh ! tu l’aimes donc bien ta petite maman Muguette ? Dis voir un peu comment tu l’aimes, ta petite maman, mon trésor.
Et l’enfant, entourant de ses bras blancs le cou de la jeune fille, frottant doucement sa joue contre la sienne, l’embrassant avec une fougue passionnée, prononça :
– J’aime de tout mon cœur ma bonne maman Muguette. Voilà ce que vit et entendit Valvert aux aguets de l’autre côté de la haie.
Il ne se sentit pas la force d’en voir et d’en entendre davantage. Il partit, il s’enfuit, titubant comme un homme ivre, se heurtant aux arbres et aux buissons, droit devant lui, sans savoir de quel côté il s’en allait ! Or, s’il était resté plus longtemps, voici ce qu’il aurait entendu : Les premières effusions avec l’enfant passées, les deux femmes s’assirent sur un banc rustique qui se trouvait là. La petite Loïse se plaça sur les genoux de celle qu’elle appelait « maman Muguette ».
– Regarde les belles choses que je t’ai apportées, dit Muguette à l’enfant.
La mère Perrine avait défait le paquet apporté par la jeune fille. Celle-ci en tira des gâteaux secs, des dragées, tout un tas de friandises et des jouets, beaucoup de petits jouets. Ces merveilles firent trépigner de joie l’enfant. D’un naturel très aimant, la fillette témoigna sa reconnaissance en étreignant passionnément sa petite maman et en l’embrassant à pleines lèvres, plus passionnément encore.
Muguette riait comme une bienheureuse, jouissait délicieusement de la joie naïve et bruyante de l’enfant qui, impatiente, se mit à fouiller elle-même dans le paquet qui semblait inépuisable.
– Et ça ? fit-elle.
– Ca, sourit Muguette, c’est quatre flacons de bon vin pour mère Perrine.
Et s’adressant à la brave femme :
– Un gobelet de bon vin après chaque repas vous refera des forces. Ce soir, nous entamerons un de ces flacons et nous le finirons demain matin. Car je couche ici, ma bonne Perrine.
Tout ce flux de paroles n’avait d’autre but que d’arrêter l’explosion des
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