La Fin de Pardaillan
bouquetière comme moi ? C’est tout à fait impossible. Il serait fou de ma part d’y penser.
– Et pourquoi donc ? dit la bonne femme, tenace. Qui vous dit que vous n’êtes pas aussi noble, plus noble, peut-être, que le comte de Valvert ? Vous me défendez de vous appeler demoiselle. J’essaye de vous obéir. Malgré moi, pourtant, le respect l’emporte, et ce mot me vient souvent à la bouche, tout naturellement. C’est que je vois bien – qui ne le verrait, seigneur Dieu ! – que vous n’êtes pas une femme du commun comme moi. Au bout du compte, vous ne connaissez pas votre famille non plus, vous. Et vous n’êtes pas si âgée qu’il vous faille renoncer à jamais connaître votre père et votre mère.
– Mon père !… Ma mère !… murmura Muguette, rêveuse.
– Qui vous dit, reprit la Perrine, qu’ils ne vous cherchent pas, qu’ils ne vous trouveront pas un jour ? Et tenez, voulez-vous que je vous dise ? Moi, j’ai dans l’idée que vous les retrouverez, vos parents. Et ce jour-là, on pourrait bien découvrir que c’est vous qui êtes au-dessus de lui. Il se pourrait fort bien que ce soit lui qui, sans le savoir, ait fait une bonne affaire en vous épousant.
– Vous rêvez tout éveillée, ma bonne, fit mélancoliquement Muguette. Mes parents, sans doute, ne se soucient guère de moi. Sans, quoi ils m’eussent retrouvée il y a beau temps, je pense. N’en parlons donc plus.
– Soit. Parlons de M. le comte de Valvert.
– Eh ! que voulez-vous que je vous dise, obstinée que vous êtes ? fit-elle en s’efforçant de trouver son enjouement habituel. En admettant que vous parveniez à me faire changer d’avis, il est trop tard maintenant. J’ai été si formelle, si catégorique, ce matin, que jamais M. de Valvert ne renouvellera sa demande. Vous ne voulez pourtant pas que ce soit moi qui lui courre après, maintenant ?
– Soyez tranquille, sourit malicieusement la mère Perrine, vous n’aurez pas besoin d’en venir là. Je vous réponds, moi, qu’il reviendra à la charge. Alors, au lieu de le repousser comme vous avez fait, dites-lui franchement ce qu’il en est au sujet de votre petite Loïsette. Si c’est un homme de cœur, comme je le crois, il sera trop heureux d’adopter l’enfant pour l’amour de vous.
Muguette ne paraissait pas bien convaincue. Alors, la petite Loïse, qui avait écouté de son air grave et méditatif, vint à la rescousse de la vieille. Et enlaçant tendrement la jeune fille, de sa voix câline, supplia :
– Dis oui, maman Muguette, dis oui.
– Eh bien, fit Brin de Muguet vaincue, pour toi, chère mignonne, je dirai oui.
– Quel bonheur ! s’écria Loïse en frappant joyeusement dans ses menottes.
Et la mère Perrine, avec son sourire le plus malicieux, conclut :
– Vous verrez que ce sacrifice-là sera tout de même plus agréable et plus profitable que celui que vous aviez eu l’idée biscornue d’accomplir.
Voilà ce que Valvert aurait entendu, s’il avait eu la force et le courage de demeurer un peu plus longtemps aux écoutes, derrière la haie.
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Chapitre 19 L’ABANDONNEE
I l ne sut jamais comment il put revenir dans Paris et ce qu’il y fit, le reste de la journée et de la soirée.
Mais Valvert était parti, ainsi que nous l’avons dit, et c’est à lui que nous allons revenir.
Il se retrouva chez lui, rue de la Cossonnerie, vers le milieu de la nuit. L’instinct l’avait ramené là sans doute.
Landry Coquenard était couché depuis longtemps et dormait comme un bienheureux. Valvert ne le réveilla pas. Il se laissa choir lourdement dans l’unique fauteuil de son appartement, et, brisé de fatigue qu’il était, il finit par s’endormir d’un sommeil pesant, agité.
Ce fut là que Landry Coquenard le trouva, le lendemain matin, et tout inquiet, le réveilla. Mais il eut beau poser des questions, employer mille et une ruses pour amener son maître à parler, il ne réussit pas à lui faire desserrer les dents. Valvert se débarbouilla et partit, laissant là Landry Coquenard tout démonté et de plus en plus inquiet. Il s’en alla prendre son service auprès de la duchesse de Sorrientès. Durant deux jours, il accomplit ce service d’une façon purement machinale, sans que personne autour de lui s’aperçût de la crise terrible qu’il traversait. La duchesse remarqua bien qu’il était très pâle. Mais, à la question bienveillante qu’elle lui posa, il répondit sur
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