La Fin de Pardaillan
l’amoureux eût compris l’affreuse méprise qu’il commettait et fût tombé à genoux.
Mais Valvert suivait son idée fixe. L’idée qu’il ressassait inlassablement depuis trois jours. Il ne pouvait rien voir, rien comprendre, pour l’excellente raison qu’il était à moitié hors de son bon sens. Et il continua :
– Vous ne répondez pas ?… Quoi que vous en disiez, il est impossible que vous ne sachiez pas… Voyons, dois-je croire que le père est mort ?… Oui, c’est bien cela.
Il souffla péniblement et ce fut comme un râle déchirant. Il prit un temps et acheva précipitamment comme s’il avait hâte d’en finir :
– Alors… si vous voulez… je serai, moi, le père de l’enfant ! L’offre que je vous ai faite de devenir ma femme, je vous la renouvelle. En vous épousant, je reconnaîtrai l’enfant et je vous jure que je l’aimerai vraiment comme un père. Pour vous, voyez-vous, je me sens capable de tout… Acceptez, je vous parle en galant homme et ne croyez pas que j’agis à la légère. Il y a trois jours que je réfléchis à ce que je dois faire. Je vous donne ma parole de gentilhomme que jamais je ne regretterai rien, jamais je ne ferai la moindre allusion au passé… Acceptez, si ce n’est pour moi, que ce soit pour l’enfant.
Elle ne répondit pas tout de suite. Emue, bouleversée jusqu’au plus profond d’elle-même, elle eût été incapable de prononcer une parole en ce moment. Mais toute sa gratitude infinie, tout son amour qui s’éveillait enfin devant tant de générosité, de noble abnégation, rayonnaient dans son regard.
Il crut qu’il n’avait pas réussi à la convaincre. Il grelotta :
– Vous refusez ?… Je vous fais donc horreur ?… Si cela est, dites-le franchement. En vous quittant, je vous jure que je vais tout droit me plonger ce fer dans le cœur… Vous serez ainsi délivrée de moi et de mes importunités.
Elle comprit qu’il ferait ainsi qu’il disait, peut-être sous ses yeux mêmes, car il avait tiré l’épée à moitié hors du fourreau. Elle eut un cri de terreur folle qui était en même temps un aveu :
– Odet !…
Et elle se jeta sur lui, l’étreignit à pleins bras, renfonça la maudite lame au fond de son fourreau, et, comme si elle redoutait encore le terrible geste homicide, elle lui saisit la main droite entre ses deux mains à elle, la serra convulsivement, la tint emprisonnée, immobilisée.
Lui, la laissait faire, ne comprenant pas encore. Alors elle parla, d’une voix tremblante, douce, oh ! si douce, qu’il en frémissait jusqu’au plus profond de son être :
– Quelle erreur est la vôtre !… Comment avez-vous pu croire ?… Odet (elle disait Odet tout naturellement, sans y prendre garde), Odet, je vous ai dit que j’ignorais si le père de ma fille Loïse était mort ou vivant. Cela s’explique de la manière la plus naturelle du monde : Odet, Loïse n’est pas ma fille… Loïse est une enfant perdue, volée peut-être, que j’ai adoptée et à laquelle je me suis si profondément attachée que je ne l’aimerais certes pas davantage si elle était ma fille. Voilà la pure vérité.
– Est-ce possible ?
– Puissé-je être foudroyée si je mens !…
Elle se tenait toute droite, un peu pâle, souriant doucement malgré son émoi. Et il y avait une telle irradiation de pureté en elle qu’il ne douta pas un instant de sa parole. Il ne douta pas et il comprit enfin ce que son attitude disait si clairement. La joie s’abattit en lui en rafale puissante. Puis il courba la tête, honteux :
– Pardon !… Oh ! pardon !…
Elle se pencha sur lui et, d’une pression très douce et pourtant irrésistible, elle le releva en disant :
– Je n’ai rien à vous pardonner. Ce que vous avez cru, tout le monde l’aurait cru comme vous. Mais personne, personne au monde, croyant ce que vous avez cru, n’aurait agi aussi noblement que vous l’avez fait, vous. Ah ! comme je vous avais bien jugé et comme vous êtes bien non seulement le plus brave, le plus fort, mais encore le plus noble, le plus généreux des hommes. Vous n’avez rien à vous reprocher, vous dis-je. Le coupable, le seul coupable, c’est moi. J’ai agi comme une étourdie, d’abord en disant à tout venant que j’avais une fille, puis en manquant de confiance en vous. J’aurais dû, l’autre jour, quand j’avais pu apprécier la noblesse de votre cœur, j’aurais dû vous dire franchement,
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