La Fin de Pardaillan
quelqu’un. Stocco avait vu passer Fausta. Il la connaissait sans doute, car il lui avait adressé un de ces saluts exorbitants et gouailleurs dont il avait le secret. Et il avait repris sa promenade un instant interrompue.
Pardaillan aperçut Stocco. Et il eut un de ces sourires aigus qui n’appartiennent qu’à lui. Il écarta brusquement le manteau et mit son visage à découvert. Et il ne bougea plus.
Ce qu’il attendait se produisit. Les yeux de Stocco tombèrent sur lui. Il pâlit. Il fit rapidement demi-tour et s’engouffra sous la voûte avec une précipitation qui était une belle et prompte fuite.
Pardaillan le guidait du coin de l’œil. En deux enjambées il le rattrapa et abattit la main sur son épaule.
Sans se retourner, Stocco se secoua comme le sanglier coiffé qui veut s’arracher aux crocs de la meute. Mais Pardaillan le tenait bien, Et quand il tenait quelqu’un, il ne fallait pas compter lui faire lâcher prise. Pardaillan ne lâcha donc pas Stocco. Mais de sa voix railleuse, il prononça :
– Je te fais donc bien peur, maître Stocco, que tu détales ainsi ?
Stocco cessa de se démener. N’ayant pas réussi à se dégager par surprise, il savait qu’il n’avait plus qu’à se tenir tranquille. Pardaillan le lâcha alors. Il était sûr que l’homme à tout faire de Léonora ne chercherait plus à s’enfuir. Eh effet, Stocco ne bougea pas. Il était toujours aussi pâle. Il n’avait plus cet insupportable air de gouaillerie insolente qui lui était particulier. Suivant une expression populaire expressive, comme toutes les expressions populaires, « il n’en menait pas large ». Il s’inclina avec un respect qui n’était pas affecté, celui-là, et prononça :
– Oui, monsieur, j’ai peur de vous…
Et se redressant, rivant sur Pardaillan un regard flamboyant :
– Et pourtant, vous savez que je ne crains ni Dieu ni diable.
Pardaillan le considéra, ayant aux lèvres un de ces sourires qui inquiétaient terriblement ceux qui le connaissaient bien. Et levant les épaules :
– J’ai besoin de te dire deux mots qui ne doivent pas être entendus, dit-il.
Ils se mirent à l’écart dans la cour. Baissant la voix et désignant Fausta du coin de l’œil, Pardaillan formula cette demande comme une chose très naturelle :
– Tu vois cette illustre princesse qui franchit les marches du perron d’honneur, là-bas ?… Il faut que tu t’arranges de manière à ce que je puisse, sans être vu moi-même, assister à l’entretien, qu’elle va avoir avec ton maître.
De pâle qu’il était, Stocco devint livide. Il recula précipitamment de deux pas, comme s’il avait vu soudain un gouffre béant s’ouvrir à ses pieds. Et il regarda Pardaillan avec des yeux remplis d’épouvante.
Pardaillan, de la tête, fit plusieurs fois « oui », de l’air de quelqu’un qui maintient résolument sa demande.
– C’est comme si vous me demandiez ma tête, monsieur, grelotta Stocco.
– Je sais, dit froidement Pardaillan. Mais je sais aussi que tu tiens particulièrement à ta tête – et du diable si je sais pourquoi, car elle est plutôt hideuse, ta tête – et que tu t’arrangeras pour que je ne sois pas surpris, pour que tu ne sois pas soupçonné, et, en conséquence, pour que ta précieuse tête ne soit pas menacée.
– Tout, monsieur, râla Stocco qui tremblait de tous ses membres, tout ce que vous voudrez, mais ne me demandez pas cela… C’est impossible… tout à fait impossible, monsieur.
– Soit, dit Pardaillan avec la même froideur. Alors je te saisis des deux mains que voici, je te traîne devant Concini, et je lui raconte certaines choses que tu sais aussi bien que moi. Notamment comment est morte certaine maîtresse particulièrement chérie de Concini et dont il a juré de venger la mort. Alors ta précieuse tête tombe… Sans compter qu’avant de la faire tomber, Concini s’amusera bien un peu à t’infliger quelques petits tourments de son invention.
Et d’une voix rude :
– Allons, choisis, et dépêche-toi, car voici la princesse qui disparaît. Si le regard avait le pouvoir de tuer, Pardaillan fût tombé roide sous le coup d’œil mortel que lui décocha Stocco. Mais Pardaillan en avait vu bien d’autres. Ce n’était pas un Stocco qui pouvait l’émouvoir. Voyant qu’il ne se décidait pas, il allongea les deux mains et les abattit sur l’espion. Celui-ci comprit que la menace n’était pas vaine. Quant
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